dimanche 30 décembre 2018

Tamazight : la souffrance féconde par Amin Zaoui



À Nedjima Plantade, spécialiste du monde amazigh, qui nous a quittés le 13 décembre 2018.

Entre courage, déception, hésitation  et trahison, s’installe le tamazight  dans l’école algérienne. Je le ressens, ce malaise générationnel qui tourmente l’Algérie. Je ressens ce sentiment  de fatigue ou d’angoisse qui courbe les épaules des femmes et des hommes, militantes et militants de la première heure. Quelque chose a craqué !
Lassitude ? Relâchement ? Dégoûtage ?
Certes, le flambeau est passé, il est entre les mains de la troisième génération des militants pour la généralisation de la scolarisation de tamazight. Ainsi j’imagine la scène historique plantée par les héroïnes et les héros de la cause amazighe.   
1- La première génération, celle des vétérans, petit à petit, s’éloigne dans le temps et dans les plis de la mémoire collective!
La génération des doyens, celle de Mouloud Mammeri, est constituée des géants et des génies. Elle est aussi la génération de la souffrance féconde. Elle a creusé dans le malheur et dans l’espoir, sans relâche. Dans l’amertume et dans le bonheur de la découverte, sans chantage ni marchandage. Cette génération des doyens a été forgée dans la vigilance politique nationaliste et dans la réflexion intellectuelle civilisationnelle.   
Ces noms entre autres resteront à jamais gravés sur les tablettes de l’Histoire : Si Mohand, Taos Amrouche, Saïd Boulifa, Youcef-Ou-Kaci, Rachid Aliche, Belaïd Ath Ali, Da Abdallah Hamane, cheikh Lhoucine, Amar Mezdad…
Une génération qui a su comment mijoter la sagesse de la réflexion et la folie de la création littéraire sur le feu d’un militantisme averti. Une génération qui a  pu raccorder l’exigence du terrain miné par le politique, à la recherche théorique et pédagogique. La sagesse et la détermination.   
2-  La génération/action  
Une génération qui a été forgée dans l’amertume des épreuves de la construction de l’État nation. Elle s’est distinguée à partir des années 80. Dans la censure, la violence, le musellement et les prisons nationales. Dans sa stratégie, poussée par l’enthousiasme et la réclusion, la présence sur le terrain a pris le dessus. L’action. Le politique est conjugué à la colère. La voix de la revendication est nette. Le discours direct. Cette génération dont la voix fut forte et sans concession, est symbolisée par un nombre important d’artistes musiciens, de poètes, de romanciers et de chercheurs linguistes.  Parmi les soldates et les soldats de cette génération on peut citer entre autres :   Tasadit Yacine, Salim Chaker, Saïd Saadi, Nedjima Plantade, Mohand-Ou-Yahia, Abderrahmane Bouguermouh, Idir, Aït Menguellet, Ferhat Mehenni, Matoub Lounès, Mohand-Akli  Salhi, Saïd Chemakh, Abdennour Abdessalem, Youcef Merahi, Ibrahim Tazaghart…  Avec cette génération,  la voix de la Kabylie a été portée très haut dans la revendication politique et dans la confirmation culturelle. Les chercheurs creusent dans la création littéraire, musicale, cinématographique, théâtrale. Et l’image de Da Lmouloud est quasi présente. Une sorte de sacralisation politico-identitaire.
3-  La génération de l’hésitation :    
Cette troisième génération renferme une nouvelle culture, un autre tempérament du militantisme et une touche d’engourdissement. Les faiseurs de cette génération sont les enfants de l’école algérienne et de l’université algérienne. Ils sont des poètes, des journalistes, des musiciens,  des médecins, des chercheurs, des chômeurs…  
Cette troisième génération se trouve face à trois éléments qui brouillent son chemin du combat :
a-   L’islamisation qui menace la Kabylie. On compte un nombre inimaginable de mosquées de l’intégrisme et du wahhabisme qui poussent comme des champignons dans les wilayas de Tizi Ouzou  et Bouira. Ce nombre  des mosquées du fondamentalisme  dépasse de loin le nombre de toutes les mosquées construites dans un pays comme le Qatar ou les Émirats arabes unis.
b-  Les médias : bien qu’elle soit une ouverture anarchique et confuse du champ médiatique visuel, nous avons espéré un meilleur service et une vision plurielle pour les utilisateurs, malheureusement quelques  pseudo-chaînes télévisuelles alimentent la haine et le charlatanisme religieux, politique et culturel en usant de langue amazighe.
c-  Dès que le pouvoir a nationalisé “la revendication linguistique amazighe”,  les pires ennemis de la langue amazighe d’hier, les opportunistes, se sont métamorphosés en défenseurs de cette cause identitaire historique. Après l’épuisement politique de la religion, des partis conservateurs et islamistes ont fait du tamazight  leur  nouveau fonds de commerce politique. Les cartes ont changé mais les joueurs sont les mêmes !    
d- Théoriquement et loin de tout jugement,  l’école a pris en charge l’enseignement du tamazight, mais  les obstacles sont énormes et multiples : politiques, religieux et institutionnels. De ce fait, gare à l’amazighisation dans l’école à la manière de l’arabisation des années 70 !
La nouvelle génération porteuse de la cause de l’amazighité se trouve noyée entre les faux et les faussaires ! Le confus règne. Il n’y a plus d’adversaire concret et visible, mais tout est bloqué ou presque. Le pouvoir a changé de place mais cloué dans sa stagnation.  Un autre ennemi prend la relève,  celui qui, au nom des variantes linguistiques, veut tirer sur l’ambulance. Sur tout ce qui a été réalisé depuis les Mammeris. Ce danger se cache derrière, dans l’idéologie islamo-baathiste, afin de démolir tout ce qui a été construit par Da Lmouloud et ses enfants,  en  appelant à l’utilisation des caractères arabes dans l’écriture de tamazight.


A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr

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