mercredi 31 octobre 2018

VOUS ÊTES « ISLAMOPHOBE » ! LA FATWA DE LA NOUVELLE INQUISITION


Jour 5678. Le mois du sable, grain par grain. Vous êtes “ islamophobe ”  ! Le mot sert à tout aujourd’hui. Il est l’invention idéologique populaire du nouveau siècle, après la mort du communisme et le déclin moralisant du capitalisme. Donc, dans   islamophobie  , on ne met pas uniquement la définition du dictionnaire mais tout ce que le monde ne définit pas clairement. Qu’est-ce que l’islam ? ( Une religion obligatoire ou un choix de soi devant les siens ou devant le dieu de son choix ? ) Qu’est-ce que la liberté ? ( Renoncer à la sienne au nom de celle de tous, ou défendre la sienne de croire ce que les autres ne croient pas, ou ne rien croire et l’affirmer comme un droit ? ) Qu’est-ce une caricature ? ( Un dessin ou un attentat ? ) On peut y mettre d’autres mauvaises réponses aux bonnes questions de la tolérance, de la séparation de la bêtise et de l’État, de la différence, des cultures et des défaites.  “  Islamophobe  dans la planète d’Allah, c’est comme  “ capitaliste  chez les communistes et comme  “ rouge  chez les américains : vous êtes islamophobe si vous êtes différent et que vous le dites. Vous l’êtes si vous dites qu’un pays a des lois qu’il faut respecter, si non il faut aller vivre en Arabie Saoudite. Vous êtes aussi accusé d’islamophobie si vous tentez de penser l’islam chez vous, dans votre pays, dans votre tête, dans votre vie. Et vous l’êtes encore plus si vous le faite dans une langue étrangère, celle de l’ex-colonisateur par exemple. L’accusation d’islamophobie est servit comme une fatwa et avec la même dose de colère, de rejet, d’exclusion et d’intolérance : c’est un peu le synonyme discret et encore polit d' “ hérétique   , apostat, impie. Vous êtes donc islamophobe si vous êtes contre l’invention horrible de la burka comme linceul vivant, si vous expliquez qu’il y a des limites entre croyances et droits et que les vivants ont le droit de vivre ici dans le monde et pas dans l’au-delà de chacun.

Vous êtes aussi désormais islamophobe si vous dénoncez les comportements des musulmans qui se cachent derrière l’islam ( en Occident, dans le monde ou en Algérie ). Si vous répondez à des imbécillités consacrées au nom de Dieu. Vous êtes aussi islamophobe si vous dites non au détournement d’un espace de jeux d’enfants au profit d’une mosquée tout les dix mètres dans votre quartier, ou si vous riez des takbir lancés lors des conversations théâtrales dans les mosquées, ou si vous parlez des  savants   autoproclamés, les  “ Google d’Allah   qui ont des avis sur tout et vous interdisent d’avoir un avis sur rien. Vous êtes accusé d’islamophobie quand vous résistez à l’islamisation de l’espace national, de la justice, de la culture, du sens et de l’avenir et des écoles. Vous êtes aussi islamophobes si vous essayez de penser l’islam selon vos attentes et vos interrogations et pas selon des livres morts. Vous l’êtes seulement si vous êtes différent, libre chez vous, dans votre pays, critique ou seulement sincère avec les vôtres ou patriote. D'ailleurs, vous êtes islamophobe si vous récusez l’arabité comme identité, alors que la religion n’a rien à voir l’arabité. 

L’accusation est désormais généralisée : contre les occidentaux parce qu’ils sont occidentaux, contre ceux qui sont différents, contre les siens qui ne pensent pas comme soi, conte les instaurateurs d’avenir et les objecteurs. Elle est pratiquée dans les cafés, les journaux mais aussi dans les têtes pensantes d’une certaine élite qui nourrit des fixations sur l’occident, qui voit un complot sous chaque aisselle et qui interprète, avec la facilité de la décapitation, toute différence de pensée comme une soumission à l’occident, justement.

L’islamophobie n’existe pas ? Si. Comme beaucoup de maladies du siècle. Mais elle existe aussi comme fatwa indirecte, à travers l’accusation maligne d’être   islamophobe  . Sournoise manipulation du sens et outil de torture de la nouvelle inquisition. L’accusation d’islamophobie a créé une peur d’être traité d’islamophobe et, partant, elle a étendu l’espace de ce qui est interdit à la critique, à la réflexion et la contestation. Elle menace et donc paralyse puis s’érige en police des idées et en tabou.

Et il ne faut pas y céder ni reculer. Tant que ceux qui vous taxent d’islamophobie ne s’appellent pas Allah ou Dieu. ils n’ont aucun droit de vous faire taire. La majorité n’a jamais été l’argument de la raison. Et lorsqu'on remonte dans l’histoire, on découvre, lentement, que l’accusation d’être  «  islamophobe  » est aussi ancienne que le meurtre ou l’ignorance : elle a servi à lapider Ibn Rochd à coup de savates comme à lyncher d’autres lumières. Aujourd’hui elle sert à cacher le  vol des chaussures dans les mosquées, le sous-développement de notre monde, le déni. Et d’ailleurs, dans le monde des autres, l’accusation sert à  «  victimiser  »  ceux qui veulent imposer leurs croyances aux autres.
Conclusion ? C'est en accusant les gens d'islamophobie que l'islamisme avance plus vite que le désert qu'il propose, comme solution, au reste du monde.

Kamel Daoud extrait de  « Mes Indépendances »  Éditions Barzakh 2017

Ibn Taymiyya, théologien du XIVe siècle et gourou de la Twittosphère islamiste


Par Robin VERNER 

Ce penseur musulman est devenu une figure incontournable des réseaux sociaux pour les islamistes et les partisans de l'État islamique. Une trajectoire surprenante pour un théologien à la pensée complexe et longtemps plongé dans l'oubli.

Lui qui réprouvait le culte des saints se retrouve encensé comme l'un d'entre eux. Sept cents ans après sa mort en 1328, l'ouléma (théologien et juriste) Ibn Taymiyya est devenu une star des réseaux sociaux. Des internautes traditionalistes, et pour certains proches de l'organisation État islamique, publient sur Facebook ou Twitter des extraits de l'œuvre pléthorique (elle compte des milliers de pages) qu'il a rédigée aux XIIIe-XIVe siècles. Peu d'auteurs de cette époque, a fortiori religieux, peuvent se targuer d'une telle postérité.
Plus largement, dans le monde musulman, la figure de ce théologien partisan d'un retour strict aux écritures intrigue. Les recherches internet locales témoignent de cette popularité impressionnante.
Vedette des milieux fondamentalistes ou tout simplement pieux, islamistes ou sympathisants du djihad, Ibn Taymiyya est aussi explicitement utilisé comme référence juridique par le «Califat» de l'État islamique. Il y a quelques semaines, au moment de mettre en circulation une fatwa appelant à la mort de Tareq Oubrou, le recteur de la Grande mosquée de Bordeaux jugé trop libéral, l'EI citait ainsi le théologien, comme le notait alors Libération.
C'est désormais un fait: Ibn Taymiyya est sorti de son anonymat en Occident et de l'oubli relatif où il demeurait au Moyen-Orient pour se trouver drapé dans une légende noire, moulé dans une réputation sulfureuse faisant de lui l'avocat postmortem du djihadisme califale. Le lecteur curieux de se confronter à sa vie et à sa pensée découvre une personnalité complexe et ombrageuse.

Un conservateur très spirituel

Il était anthropomorphiste. Pour lui, Dieu avait un visage notamment. En fait, c'était un spirituel, à sa manière
Éric Geoffroy
En conséquence, Ibn Taymiyya s'affirme comme un conservateur au XIIIesiècle et l'ennemi des innovations au sein de la foi. Il souhaite aussi en revenir à l'exemple des premiers musulmans, les «salaf» (mot arabe qui donnera bien sûr sa racine au mouvement salafiste). Dans un empire dominé alors par les mamelouks, il apparaît enfin comme va-t-en-guerre en prônant le djihad contre les Mongols qu'il voit comme de faux musulmans, des «associationnistes» (c'est-à-dire ne respectant pas le strict monothéisme islamique).
Éric Geoffroy, islamologue et grand spécialiste du soufisme, connaît bien Ibn Taymiyya dont il a expliqué la spiritualité dans son ouvrage Le soufisme, voie intérieure de l'islam. Cette vision d'un Ibn Taymiyya dépeint en père fondateur du djihadisme est insensée comme il nous l'explique aujourd'hui:
«C'est vrai qu'Ibn Taymiyya était assez emporté, péremptoire, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. Les terres musulmanes se sentent menacées. Lui-même sait que la grande civilisation arabe est attaquée à l'ouest et à l'est. À ce moment-là, les musulmans se débarassent à peine des croisés et ils doivent aussi faire face aux Mongols. En 1258, les Mongols ont même mis Bagdad à sac!»
Ibn Taymiyya n'est pas seulement en butte aux étrangers. Aujourd'hui, adoré parmi des franges islamistes minoritaires, il n'est pas non plus de son vivant à son aise dans la société. Il est même poursuivi par les autorités qui l'ont emprisonné plusieurs fois et ce, pour des motifs théologiques. On lui reproche une lecture trop littérale du Coran: «Il était anthropomorphiste. Pour lui, Dieu avait un visage notamment. En fait, c'était un spirituel, à sa manière, même s'il était opposé à l'ésotérisme», détaille Éric Geoffroy. Cette dimension spirituelle, son attachement à la confrérie Qadiriyya expliquent qu'à sa mort en 1328 on l'ait enterré dans un cimetière soufie.

Les profanateurs de sépultures

Si sa dépouille repose de nos jours à Damas, les fondamentalistes ont exhumé sa mémoire. Et ils n'ont pas attendu Daech. Alors qu'il jouit après sa disparition d'une certaine notoriété, sa célébrité s'estompe au XVIe et XVIIe siècles. Mais au XVIIIe siècle, Mohammed Ben Abdelwahhab, fondateur du très rigoriste courant wahhabite, procède à la récupération du souvenir d'Ibn Taymiyya et, comme ses successeurs, le met au service de son discours.
Les wahhabites aiment sa volonté de se conformer à la vie des premières générations de musulmans, son hostilité à l'égard des modifications de la foi et des pratiques religieuses, son opposition aux dévotions populaires rendues devant les tombeaux de saints. Autant de traits que l'État islamique peut aussi mettre en avant à présent:
«Les wahhabites, qui ont édité toutes ses fatwas, se sont servis de lui, en atrophiant sa pensée. Et, pour le reste, Ibn Taymiyya n'aurait jamais validé ce que fait Daech. Il était contre les visites aux tombes de saints, c'est vrai, mais jamais il n'aurait accepté qu'on les fasse sauter. Il a écrit une fatwa contre les chiites ismaëliens en son temps mais seulement parce qu'il considérait qu'ils avaient pactisé avec les Mongols. Il n'aurait pas cautionné leurs massacres aujourd'hui», s'exclame Éric Geoffroy.
Lui et ses semblables estiment que la philosophie relativise le message de Mahomet en prônant que la raison peut “challenger” la révélation
Éric Geoffroy 
La postérité nourrit un autre grief à l'égard d'Ibn Taymiyya, alourdissant encore le dossier qui l'accuse de collusion avec l'islamisme moderne: il aurait été l'adversaire farouche d'un «Islam des Lumières» médiéval, mêlant le Coran et la pensée d'Aristote ou de Platon.
«Franchement, il n'est pas le seul à l'époque à être contre la philosophie gréco-arabe. Lui et ses semblables estiment que la philosophie relativise le message de Mahomet en prônant que la raison peut “challenger” la révélation. Ibn Taymiyya s'oppose à ce discours qui est tenu par des gens qui, comme Averroès par exemple, sont très élitistes. Pourtant, la pensée d'Ibn Taymiyya est riche et complexe mais actuellement on simplifie à outrance», déclare l'auteur de L'Islam sera spirituel ou ne sera plus.

Comme dans un moulin

Toutes ces caricatures permettent à l'EI de détourner à son profit l'héritage d'Ibn Taymiyya qui est alors présenté comme anti-intellectuels, ennemi de la raison, partisan d'un islam «purifié» et guerrier revenant à des sources idéalisées. Un dernier point, aussi géographique que symbolique, a encouragé également cette entreprise comme le dit Éric Geoffroy:
«Ibn Taymiyya était Syrien et Daech fait sans doute le lien avec l'actualité, d'autant plus que la Syrie est décrite par certains hadiths comme une terre eschatologique. Ça rentre dans leur besace.»
Pour notre islamologue, c'est un «consumérisme religieux» qui a intégré ce théologien complexe mort il y a sept siècles dans «le prêt-à-porter salafiste de base» contemporain. En ouverture de sa longue biographie philosophique consacrée à Flaubert, L'Idiot de la famille, Sartre écrivait dans les années 1970: «On entre dans un mort comme dans un moulin.» La formule n'en finit plus de se vérifier.
Source Slate



lundi 29 octobre 2018

Au pays d’Inch’Allah par Amin Zaoui


Inchallah est une expression arabe composée de trois mots, qui signifie en français :  “Si Dieu le veut”. Inchallah est l’expression la plus utilisée dans le discours de cette nouvelle génération algérienne égyptianisée ou saoudianisée. Elle est utilisée à tort et à travers. Une locution importée d’Orient islamique. Dans le nouveau discours algérien, qu’importe le discours politique, social, scientifique ou culturel, après chaque phrase on entend sonner : “Inchallah” !
Nous sommes arrivés à un stade où tout le monde parle religieux. Toute la société est devenue fékiq, imam ou mufti. Tout est religionalisé ! Le mathématicien, à l’école, au lycée et même à l’université, parle comme quelqu’un qui puise ses équations mathématiques de la sourate el Fatiha. Il entame ses recherches pour résoudre un exercice mathématique toujours par “Inchallah” ! La dame de la météo voilée ou naturel, qu’importe, lit les informations données par le centre de recherche météo logiquement, et à la fin de chaque information elle n’oublie jamais de placer la fameuse expression “Inchallah” !  Le monsieur de la poésie classique ou moderne, qu’importe, prend le micro pour déclamer un poème, et avant de le faire il commence avec “Bismi Allah ar-Rahman ar-Rahim” comme se prêter à lire sourate Al-Koursi, ou encore “J’espère que vous allez aimer ma lecture, ‘inchallah’ !”  Le monsieur de la médecine moderne ou celui de roquia islamique, peu importe, dans leur discours ils sont jumeaux, identiques !
Ils nous parlent de leur science usant d’un discours de sorcière ; au début, au milieu et à la fin : inchallah !  Le monsieur de l’agriculture, le faux paysan ou le petit fellah, qu’importe, regarde le ciel et attend de la pluie, et dit dans une fainéantise absolue, les mains croisées, cigarette au bec ou une prise tabac chique chema sous la lèvre : “Que l’année soit bonne et balance Inchallah” !!
Monsieur le docteur spécialiste de la fécondité ou de la stérilité examinent la femme en lui disant “Vous aurez… Inchallah” !! L’artiste chanteur, avant de monter sur scène, ou dans un studio, avant de commencer son entretien ou son concert, il nous fait tout un discours entrecoupé par “Inch’Allah” ! La sage-femme ou la gynécologue de la maternité, entre les mains les résultats d’échographie de sa patiente notifiant un bébé fille, ose dire à la maman : “Un garçon inchallah” !
Tayyabat el-hammam, si quelques unes y sont encore dans beyt skoune du hammam du quartier, frotte le dos de sa cliente en disant : “Toute la saleté sera dégagée inchallah” ! Le taxieur dont le véhicule Symbol made in Algéria ou made in França est en panne, dit au passager : “Nous arrivons à l’heure” tout en balançant : “Inchallah” !
Le monsieur de l’autoroute, le  monsieur du café du coin, serveur ou consommateur, la  femme qui attend son fils ou son petit-fils devant la porte d’école, la femme qui prépare des m’sammanes, la femme de la classe qui ne ressemble en rien à une maîtresse d’école, la femme qui parle à la voisine à la station du bus, la femme qui fait la chaîne pour encaisser la retraite de son époux… tout ce monde ne bouge qu’avec Inchallah à la bouche ! Inchallah est aussi un service matrimonial, et voici Inchallah qui marie les célibats et les vieilles filles !
Inchallah est aussi une agence de voyage et une “Agence immobilière” !!!
Dieu n’est pas fellah, Il n’est pas médecin non plus, Allah n’est pas architecte, Il n’est pas commerçant non plus, Allah n’est pas un mécanicien de véhicule, Il n’est pas boulanger ou pharmacien non plus… Nous sommes au pays d’Inchallah (Si Dieu le veut) mais Allah ne répondra jamais aux appels des fainéants et aux hypocrites recroquevillés dans un discours religieux de paresse !
Dieu écoute ceux qui excellent dans la science, dans le travail, dans la création. Son cadeau pour  l’être humain c’est cette intelligence qu’il faut bien exploiter.  Inchallah d’aujourd’hui n’est plus Inch’Allah de mon grand-père !
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
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Kamel Daoud : « Il est difficile de s’exprimer sur l'islam quand on est coincé entre islamistes et islamophobes »


Kamel Daoud : « Il est difficile de s’exprimer sur l'islam quand on est coincé entre islamistes et islamophobes »

L’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud se nourrit de l’adversité. Entre la figure du traître au Maghreb et celle du dissident en Occident, il entend avant tout garder du plaisir à exercer et défendre sa liberté, valeur cardinale de son existence.
Il y a deux Kamel Daoud. Le journaliste, incisif et sans concession, qui ne craint pas de défendre ses convictions et sa liberté de conscience – quitte à mettre en péril sa sécurité et à s’attirer les foudres de ceux qui l’accusent de caricaturer l’islam. Et l’écrivain, prix Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête, qui fait vibrer la langue française avec amour et virtuosité, même s’il a choisi de demeurer en Algérie, envers et contre tout. Envers et contre tous ? C’est peu dire que chacune de ses chroniques au Point, au Quotidien d’Oran ou au Monde est guettée, commentée, discutée, qu’elle déchaîne les passions. Mais le journaliste et l’écrivain se rencontrent souvent. C’est le cas dans son dernier essai, Le Peintre dévorant la femme (Stock, 2018) où Daoud confronte deux visions antinomiques de la femme : le regard de Picasso et celui d’un combattant de Daesh. Conversation avec un homme intransigeant et entier –excessif, parfois– en croisade contre les idéologies et les dogmes. Une croisade où le verbe est sa seule arme.

Ce qui frappe, en lisant vos écrits, c’est qu’au-delà de la vision désenchantée que vous portez sur le monde, il transparaît une inaltérable pulsion de vie, un amour du moment présent. D'où cela vous vient-il ?
Cette pulsion vient d'un manque. J’appartiens à une génération qui a été dépossédée de la vie ici-bas par deux choses : un discours religieux qui met par la vie en sursis, qui la promet pour après la mort ; et surtout, par le récit national, le poids de l’histoire de la colonisation et de la guerre d'indépendance. Le présent apparaît comme quelque chose qui n'est pas à la hauteur du passé. Ceux qui sont considérés comme vivants sont les héros de la guerre de libération. Nous sommes venus après, et en quelque sorte endettés. Je me suis toujours senti enfermé entre ces deux mises en sursis de la vie. Quand j'étais gamin, une lecture m’a beaucoup marqué : Les Nourritures terrestres d'André Gide. Cela peut sembler un peu naïf, mais cette expression d'un désir de vivre, de « sentir le sable sous ses pieds », m’a bouleversé. J'ai toujours voulu défendre comme un droit de propriété le fait de posséder sa propre vie.

Vous avez érigé la liberté en valeur cardinale de votre existence. Comment composez-vous avec le sentiment d'angoisse qui découle de la liberté ?
Je convertis cela en valeur morale. Je veux croire qu'il y a plus de dignité à assumer la liberté, la responsabilité d'être libre, qu’à vivre dans le confort de la soumission aux groupes, aux idéologies dominantes, ou dans la soumission politique. Une autre raison, qui peut paraître simpliste, m’aide à vivre : puisque personne ne peut mourir à ma place, personne n'a le droit de vivre à ma place. Cette certitude de la solitude devant la mort me donne tous les droits. J’ai le droit de vivre ma vie comme je l'entends, sans avoir à composer outre mesure avec les idéologies, les idées ou les religions dominantes.

Précisément, vous incarnez dans les médias occidentaux la figure du résistant face aux pouvoirs établis. N'y a-t-il pas un risque de surjouer ce rôle, de tomber dans la caricature outrancière – ce qui vous est parfois reproché ?
C'est possible, mais c'est un choix qui se pose à certaines époques. Faut-il dénoncer le goulag, au risque d'être récupéré par les propagandes dites impérialistes de l'époque ? Ou faut-il le taire pour sauver le prestige du communisme ? D’autres avant moi ont vécu ce dilemme, qui m’a longtemps travaillé. Dois-je encore parler comme je l'ai toujours fait, exercer un droit et un devoir de lucidité sur mon réel, quitte à ce que mes dires soient récupérés par les extrêmes droites ? Ou dois-je me taire, fermer les yeux sur les injustices que je vois autour de moi ou que je vis personnellement ? Je ne suis pas coupable du détournement de mes propos. Je suis responsable de ma vie, de ce je dis et de mon devoir de dire les choses telles qu'elles sont. Ce n'est pas parce qu'un discours anti-islamiste peut servir un discours islamophobe que je dois me taire. Ce serait être complice.
Que l'Occident ait besoin de figures opposantes n'est ni un vice, ni une vertu, ni une faute : on ne se représente l'autre qu'à travers soi-même. L'Occident interprète selon ses besoins, ses problématiques, ce qui est tout à fait normal. Dans ce contexte, je ne me sens pas victime. Je me sens moi-même. Et c’est en outre un jeu à double sens, puisque ce qui est dit par les intellectuels appréciés en Occident est aussi récupéré par le discours religieux dominant, ou qui essaie d'être dominant, au Maghreb. Les médias islamiques y trouvent des arguments pour leur discours sur l'effondrement moral et l’hypocrisie de l'Occident. S’il existe, d’un côté, la fabrique du dissident à partir de figures comme la mienne, ici, au sud, il y a aussi la fabrique du traître. Entre la figure du traître et celle du dissident, il faut essayer d'exercer sa liberté, et surtout de garder du plaisir à le faire.

Justement, n'êtes-vous pas un peu las de ces combats ? En d'autres termes – et je m’adresse ici davantage au chroniqueur qu’à l’écrivain – ressentez-vous encore un bonheur à faire ce métier ?
Je suis chroniqueur depuis vingt ans, mais j'ai toujours mal au ventre quand je dois écrire une chronique : est-ce que je vais être bon, le sujet va-t-il être pertinent ?, etc. Il y a un peu d'épuisement dans le sens où nous sommes dans un monde où la surmédiatisation tue l'information. Ce que vous dites est systématiquement surinterprété, que ce soit de ce côté de la Méditerranée ou de l'autre. Vous n'avez plus droit au plaisir gratuit. Mais, croyez-moi, j’essaie de préserver ce rapport d'innocence et de jeu qu'on doit avoir avec l'écrit. Je lis ce que j'ai envie de lire, et j'écris parfois sur des sujets à ma manière, c'est-à-dire en essayant de conserver un rapport ludique et original au thème.

Qu'est-ce qui fait que vous restez en Algérie, malgré le regard sévère que vous portez sur votre pays, sans compter les menaces qui pèsent sur votre sécurité ?
C'est une question qu'on me pose souvent. Je vais peut-être tenter, un jour, d'y répondre par un livre (rires) ! On reste dans un endroit pour trois ou quatre raisons affectives et intimes. J'y reste aussi parce que l'adversité me nourrit et que le paradis, chez vous, est tout à fait ennuyeux, peut-être. J'y reste également parce que je redoute la figure de l'intellectuel exilé. Un exilé écrit souvent sur son exil, ce qui est une manière de se suicider lentement. J'ai peur de l'exil. Il faut beaucoup de courage pour partir. J'espère ne pas être forcé à le faire. En ce moment, je relis des ouvrages d'Orhan Pamuk, tellement nourri de ce lien qu'il a avec Istanbul... C'est la terreur de l'écrivain de quitter ce lieu qui est à la fois celui de l'adversité, mais aussi celui de la passion. On y perd beaucoup. Et puis, ici, j'ai l'impression que ma vie a du sens. Cela m’a pris beaucoup de temps d’y bâtir une maison, une vie. Je n'ai pas envie de repartir de zéro. Paradoxalement, c'est le lieu qui me permet – parce que j'en suis dépossédé quotidiennement – de défendre ma liberté. Elle me serait offerte totalement en Occident, que j'y perdrais peut-être le goût de la défendre.

Votre goût du combat ne vous donne-t-il pas envie de vous lancer en politique ?
Ce serait suicidaire. Quand le jeu est ouvert, quand on ne connaît pas la fin du film, pourquoi pas... Mais quand vous savez d’avance qui sera le seul survivant… Ce serait idiot de jouer le second rôle.

Diriez-vous que vous portez un regard lucide ou pessimiste sur notre temps ?
Je pourrais vous dire les deux. On est toujours dans la fameuse équation d'un pessimisme de raison et d'un optimisme de cœur. Je préfère cependant le mot de lucidité à celui de pessimisme. Dans « pessimisme », il y a une défaite au début. Dans « lucidité », il y a peut-être une défaite vers la fin, mais cela me donne l'impression que j'exerce quelque chose qui est mon droit, que c'est un choix que je fais. Le pessimisme est peut-être l'inverse de la lucidité. Quelque chose que l'on conclut dès le début. Je n'aime pas cela. Est-ce que j'ai un regard pessimiste, oui, parce que je ne vois, en Algérie ou dans le monde qu'on appelle « arabe », que très peu de signes d'espoir. Cela ne m’empêche pas d’avoir beaucoup d'espoir, que j'essaie de nourrir tant bien que mal avec l’exemple de la Tunisie.
Néanmoins, quand je lis toutes les résistances, toutes les insanités que les réseaux sociaux permettent de faire circuler rapidement, je suis un peu désespéré. Je vous mentirais si je vous disais que j'ai un pessimisme définitif ou une lucidité permanente. Comme tout le monde, j'ai des intermittences. Il m'est parfois plus facile de céder au confort du déni que de la lucidité permanente. Il y a des moments où je suis tellement en colère contre le réel que je me mets à espérer par esprit contraire. Mais il y a des moments où je suis totalement pessimiste et où je me dis qu'à l'échelle de ma vie d'individu, ni moi ni mes enfants ne vivrons ce changement. Pour autant, je participe, avec d’autres, à garder ouverte la possibilité d'un changement et à faire rêver les prochaines générations. J'aime dire : être un ancêtre se mérite. Je voudrais que l'on se souvienne de moi de cette façon-là aussi.

Vous avez écrit à votre ami l’écrivain Adam Shatz que vous aviez « la terreur de vivre une vie sans sens ». Avez-vous, aujourd’hui, le sentiment d'avoir trouvé du sens dans votre vie ?
Je pense avoir pressenti du sens depuis très longtemps, depuis la fin de l'adolescence, à partir d'une équation très simple. Lorsqu'on accepte que la vie est inexplicable ou absurde, on est poussé à fabriquer du sens, à le défendre. Ça peut être l'effort d'une vie, l'effort d'une œuvre, d'une histoire d'amour, d'un ouvrage, d'une structure, d'un engagement politique, d'un sacrifice pour ses propres enfants. À partir de ce qui est inexplicable, on fabrique du sens. Ce qui est grave, c'est faire le contraire : lorsqu'on vient dans un monde qui est totalement explicable, on peut être tenté de commettre l’absurde, de tuer des gens au nom d'un dieu ou d'autres choses. Parce que je l'ai voulu, et parce qu'on n’a que le dieu de nos actes, j'ai décidé d'être quelqu'un qui fabrique du sens. Malgré tout.

Si votre critique de l'islam est sans concession, vous ne vous êtes jamais qualifié d'athée ou d'agnostique. Quel rapport entretenez-vous avec la religion musulmane ? Y a-t-il une place dans votre vie pour la pensée magique, le rite ou la spiritualité ?
Tout à fait. La spiritualité est une sorte d'univers de subjectivité qui me fascine. Je suis tenté de m'y attarder mais j’y exerce aussi un droit de lucidité. Je suis entre les deux. En revanche, j'ai une allergie profonde aux rites, aux dogmes, aux religions, quand elles se traduisent en système de valeurs sociales. Je crois que chacun a le choix, le désir, le droit de chercher un dieu. Et que chacun peut dire qu'il l'a trouvé ou qu'il ne l'a pas trouvé. Ce qui me révolte, c'est lorsque quelqu'un trouve quelque chose et qu’il se sent obligé de convertir les autres à sa propre croyance. Si quelqu'un a trouvé Dieu, qu'il en soit heureux. S’il ne l'a pas trouvé, et bien il est libre. C'est ainsi que je conçois les religions.
Il est très difficile pour les intellectuels du Sud d'avoir un discours sur la spiritualité, parce qu'il est facilement assimilable à un discours sur la religion autochtone. Et il est difficile de s’exprimer sur l'islam quand on est coincé entre islamistes et islamophobes. La liberté de dire les choses y est très mince. Je n'aime pas que l'on me pose la question de mes croyances parce que, justement, je me bats pour qu'elles restent du domaine de l'intime. Les gens qui veulent imposer leurs propres croyances sont, au fond, dans l'angoisse de croire seuls, de perdre seuls. Souvenons-nous du pari de Pascal : si je crois et que c'est vrai, je gagne ; si c'est faux, je ne perds rien. Mais le radical le formule ainsi : je crois et vous devez croire avec moi. Parce que si c'est vrai, on gagne tous, et si c'est faux, je ne perds pas tout seul.

En tant qu'écrivain de culture musulmane, quel regard portez-vous sur le livre sacré de l'islam, le Coran ?
Je refuse que le Livre soit sous monopole d'un clergé, de théologiens autoproclamés, de prêcheurs, de mouvements politiques. Je refuse que le Livre sacré ne soit pas à hauteur d'homme. S'il a été donné à l'homme, c'est pour qu'il soit à la hauteur de ses quêtes, de ses capacités à déchiffrer, à interpréter – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C'est-à-dire qu’il n'est pas approché par nos angoisses, mais par nos certitudes ; il n'est pas approché par nos doutes, mais par des vérités absolues et fixées. Il faut libérer le Livre sacré pour qu'il soit interprétable, approché par tous, musulmans ou non, lu selon les envies ou les recherches intimes, comme une liberté et non comme une injonction. Je crois que c'est l'homme qui est sacré et non le Livre. Quand on veut sacraliser le Livre, on en vient à exclure l'homme.

Dans un entretien au Magazine littéraire, vous posiez la question : « En quoi l'islam a-t-il été utile à l'humanité ? » . Que répondriez-vous ?
Il s'agit de la formulation un peu brutale d'une autre question : en quoi sommes-nous universels, et le sommes-nous encore ? La réponse pourrait être la suivante : nous voulons à la fois appartenir à cette humanité et nous refusons qu'elle fasse partie de nous. Nous refusons les valeurs universelles et en même temps nous crions au scandale d'une humanité qui refuse les musulmans de culture ou de croyance. C'est quelque chose qui m’interpelle depuis très longtemps : nous gémissons parce que le monde nous exclut, mais nous excluons tout ce qui est universel, et nous ne faisons que nourrir nos particularismes au nom d'une identité culturelle fantasmée. Honnêtement, qu'est-ce que nous apportons au monde ? Rien du tout. C'est cruel de le dire, c'est blessant pour l'image narcissique des post-colonisés, ça heurte cette culture du din [de la religion, ndlr] chez nous, mais c'est la vérité. Je ne remets pas en question l'apport d'individualités, la bonne foi de beaucoup de gens et leur sacrifice ; je parle d'un bilan collectif.

La question de la sexualité est omniprésente dans votre travail. Vous dénoncez la « bigoterie », la « misère sexuelle » du monde arabe. En quoi la question sexuelle, très liée à la condition des femmes, est-elle un enjeu crucial pour notre époque ?
Quand on compare ce qui se passe en Occident et ce qui se passe dans le monde qu'on appelle arabe ou musulman, je suis frappé par le fait que finalement, on peut faire de larges cercles concentriques, on en revient toujours à la question du sexe et du texte, ainsi qu’à la représentation de la femme. Nous avons un lien pathologique avec l'être aimé, l'être désiré. Ce qui veut dire que nous avons un lien pathologique avec le désir, avec l'imaginaire, l'altérité, avec le reste du monde. Si nous n'arrivons pas à construire un lien d'acceptation du désir, nous ne pouvons pas désirer le monde, désirer autrui, désirer comprendre, rire ou partager. Et toute cette vaste question de l'altérité est incarnée dans le lien que nous avons avec la femme.
Je juge les peuples au sort qu'ils réservent aux femmes. Tous les peuples qui nient, qui voilent, enterrent ou tuent les femmes ne peuvent pas avancer – n'ont pas avancé. C'est une question essentielle, qui se pose de manière brutale, criminelle, dans certaines géographies comme la mienne, et d'une manière plus insidieuse dans des géographies comme la vôtre. Il ne s'agit que d'une différence de degré. D'un côté la femme est voilée, de l'autre, elle est voilée par son corps, elle n'est que son corps et non l'individu, elle est chosifiée. On est toujours dans cette négation de l'autre, ce malaise vis-à-vis de l'être désiré. Si nous ne tranchons pas ce nœud gordien, nous ne guérirons pas.

Justement, quel regard « l'occidentaliste » que vous êtes – terme avec lequel vous vous qualifiez – porte sur la condition des femmes en Occident à l'heure de #MeToo?
#MeToo est une réaction nécessaire face à la fausse victoire des droits de la femme en Occident, qui n’a pas empêché la reconstitution insidieuse de la misogynie, de manière certes plus discrète. Ce mouvement permet de remettre à la page les discussions sur la condition des femmes.

La misère sexuelle du monde arabe peut-elle expliquer la montée du radicalisme religieux ?
Pour moi, il y a un lien direct. Un homme aimé à 14 ans ne se fait pas kamikaze à 16 ans. Lorsqu'on en arrive à désirer la mort, c'est qu'on a mis en sursis son propre désir. On intercale la mort entre le corps et la jouissance : il faut mourir pour rencontrer la houri, la femme, au paradis. C'est monstrueux de croire qu’on ne peut jouir de la vie qu'en subissant ou en donnant la mort. Si on arrive à restituer cette possibilité de la rencontre et du désir dans ce monde-là, même avec la précarité, même avec la mort au bout, notre façon de voir le monde changera. J'ai vu sur le net une caricature d'un abîme philosophique incroyable : un djihadiste explique à un journaliste qu’il tue les mécréants parce qu’ils boivent du vin et forniquent. Au journaliste qui lui demande ce qu’il y gagnera, l’islamiste répond qu’il ira au Paradis, pour boire du vin et forniquer... C'est l'expression par l'humour de cette mise en sursis par la mort. Si l'on arrive à guérir le désir, à libérer la sexualité, à érotiser le monde, ce dernier sera défendu comme une propriété, et non comme une salle d'attente.

Mais le fait que de plus en plus d'intellectuels ou d'activistes puissent parler aussi librement de la sexualité, y compris en contexte arabe, n'est-il pas le signe d'une révolution silencieuse ?
Je ne pense pas, car le barrage linguistique biaise votre approche. Depuis trois ou quatre décennies, les religieux ont le monopole du discours sur le sexe. C’est devenu leur droit. En Algérie comme en Égypte, si on trouve normal qu'un imam autoproclamé de 30 ans puisse légiférer sur votre manière d'approcher votre femme, on juge scandaleux qu'un intellectuel puisse parler librement du sujet. Il faut démonopoliser le discours sur la sexualité. Les choses bougent, mais trop lentement, et le rapport des forces n'est pas en notre faveur.

Dans votre dernier livre, Le Peintre dévorant la femme , vous confrontez la vision de la femme chez Picasso à la celle de la femme vue par un djihadiste. Pour autant, le regard que le peintre portait sur les femmes n’est-il pas quelque peu terrifiant, lui aussi ?
Bien sûr, c'est pour cela que j'ai utilisé le terme de « cannibalisme ». Mon but n’était pas de confronter une vision saine avec une vision malade, mais de confronter deux visions totalement antinomiques ayant en commun ce désir pathologique de dévorer la femme. Ce sont deux visions qui nient la femme, perçue soit comme un objet à investir, soit à nier.

À vos yeux, qu'est-ce que la liberté appliquée à la sexualité ?
C'est le droit de disposer de son corps, qu'il ne soit pas un bien collectif mais individuel. Le corps de la femme appartient à la femme, le corps de l'homme appartient à l'homme. Il faut par ailleurs guérir la notion d'orgasme. L'orgasme n'est pas un vice, il est un droit. L'orgasme n'est pas une traîtrise ni un concept de l'Occident : c'est un droit universel. Nous devons conquérir le droit de parler de la sexualité sans tomber sous le coup de la loi politique ou religieuse. Mon corps m'appartient, il est ma propriété, je peux l'offrir par amour, je peux le préserver, je peux l'interdire à autrui, je peux le défendre, je peux le partager, je peux en faire un lieu de rencontres. Mais je n'ai pas à le vivre comme étant quelque chose qui m'a été prêté par le ciel ou par la loi.


À lire
Picasso et le djihadiste
Sexualité, corps, condition des femmes… Ces thèmes occupent une place prépondérante dans la pensée de Kamel Daoud, qui n’a de cesse de dénoncer la montée de l’islamisme, « les scandalisés de la vertu », « la folie qui lie l’islamiste au corps de la femme » , au mépris de la fatwa de condamnation à mort émise contre lui par un imam salafiste en 2014. Son nouvel essai, Le Peintre dévorant la femme (Stock), écrit à la suite d’une nuit passée au musée Picasso, confronte ainsi deux visions antinomiques de la femme. La vision du peintre espagnol, pour qui « la femme est une dévoration, un corps entier que l’on ne peut saisir que dans l’étreinte, l’immédiateté érotique, le désir, la dévoration cannibale ». Aux antipodes, celle du djihadiste, pour qui la femme érotisée est « une anticipation scandaleuse de la femme rêvée dans le paradis, pour après la mort ». Aux yeux du peintre, « il s’agit de mourir de désir » ; dans l’optique du combattant de Daesh, « il s’agit de faire mourir le désir ou de mourir pour pouvoir le combler » en compagnie des houris, ces vierges censées attendre les martyrs de la foi au paradis. Et Daoud de s’insurger contre ce rapport « monstrueux et pathologique » au corps féminin. V. L.
Kamel Daoud en quelques dates
1970. Naissance à Mostaganem (Algérie)
1994. Entre au Quotidien d’Oran, où il est toujours chroniqueur
2011. Publie Le Minotaure 504 (Sabine Wespieser Éditeur), sélectionné pour le Prix Goncourt de la nouvelle
2013. Publie Meursault, contre-enquête (Actes Sud), Prix Goncourt du premier roman
2016. Publie sa tribune « Cologne, lieu de fantasmes », dans Le Monde du 5 février, suivie d’une violente polémique
2017. Publie Zabor ou les psaumes (Actes Sud), Prix Méditerranée 2018
2018. Publie Le Peintre dévorant la femme (Stock)
Interview parue dans Le Monde


dimanche 28 octobre 2018

AL HALLÂJ GRAND MYSTIQUE MUSULMAN


Par Florian Besson


Grand mystique musulman, rendu célèbre en France par l’étude que lui consacra Louis Massignon, Al Hallâj est aussi un maître soufi qui contribue aux premiers succès de ce courant spirituel, et un poète.

Vers le martyre

Al-Husayn Mansûr Hallâj est né en 857, à Beïza, en Perse (aujourd’hui en Iran). Il naît dans une famille pauvre (son père travaille la laine, d’où le nom de al-Hallâj, « le cardeur de laine »), mais cela ne l’empêche pas de suivre des études assez poussées dans les sciences religieuses. Mais ces études le laissent insatisfait : il est attiré par une vie ascétique et souhaite prendre ses distances par rapport à l’enseignement traditionnel du Coran. D’où son entrée dans une confrérie soufie. Il effectue ensuite son pèlerinage à La Mecque et entame une carrière de prédicateur. Parcourant d’abord le Khôrassan, il s’installe ensuite avec sa famille à Bagdad. Il effectuera deux autres pèlerinages à La Mecque, et un long voyage jusqu’à l’Indus, voire peut-être même jusqu’aux frontières de la Chine, même s’il est difficile d’en être sûr. Vers 902, il commence à tenir des discours publics très hétérodoxes, qui le font suspecter d’hérésie – d’autant plus que sa famille a des accointances avec les milieux shiites extrémistes. Cela n’empêche pas d’ailleurs les shiites, alors très influents à Bagdad, de se méfier de Al Hallâj, dont on craint l’influence sur les foules. Une première fois dénoncé, par un poète qui avait fait partie de ses amis, il est ensuite accusé par le vizir Ibn al-Furât. Plusieurs de ses disciples sont arrêtés, mais al-Hallâj parvient à s’enfuir et se cache à Suse. Il est vite arrêté et ramené à Bagdad. On l’accuse notamment de comploter contre l’Etat, de s’être attribué des miracles, d’avoir organisé des réunions secrètes.
Commence alors un très long procès, on ne peut plus politique : en 913, Ibn Isâ, un vizir sensible à ses vues, le soustrait à l’autorité du cadi, le fait venir au palais, et le présente même au calife ; mais en 919, le vizir Hamâd fait rouvrir son procès. En 922, Al Hallâj est condamné à mort, le tribunal l’accusant notamment d’avoir voulu supprimer le pèlerinage à La Mecque (le hajj), un des piliers de l’islam. Il s’agit donc d’un crime d’hérésie (zandaqa, un terme d’origine persane qui désigne aussi le crime de celui qui conspire contre l’Etat [1]), car Al Hallâj va contre le texte coranique, expression de la parole de Dieu. Al Hallâj refuse plusieurs fois de renier ses propos, à l’image d’un Socrate refusant de fuir Athènes : il aurait même aspiré au martyre, si on en croit ce fragment de poésie rapporté par ses disciples : « c’est dans mon meurtre qu’est ma vie, ma mort, c’est de survivre, et ma vie, c’est de mourir ». Le 27 mars 922, il est supplicié en place publique : crucifié (un héritage que les Arabes ont repris aux Sassanides, qui l’avaient eux-mêmes empruntés aux Romains), ses membres sont tranchés puis il est décapité. Ses disciples rapportent qu’il aurait ri en voyant le gibet. Son corps sera brûlé et ses cendres jetées dans le fleuve, en même temps que ses œuvres. C’est le premier martyr de l’islam. Même après la mort, Al Hallâj n’échappe pas aux tribulations politiques, puisque la mère du calife, favorable à ses théories, récupère sa tête et la fait conserver au Trésor des Têtes du palais califal.

Un soufi

Dès l’âge de 16 ans, Al Hallâj s’engage dans une confrérie soufie et devient le disciple du maître Sahl al-Tustarî. Mais il est attiré par le rayonnement intellectuel et religieux de Bagdad, et il va y rejoindre le maître soufi al-Junayd. Cependant, tout les oppose : al-Junayd, âgé, défend un soufisme méthodique, rigoureux, contrôlé, qui doit amener le mystique à approfondir sa relation à Dieu en passant par plusieurs étapes spirituelles bien définies (maqâm), alors que le jeune Al Hallâj penche pour une approche émotive et intuitive. Junayd, lucide, lui aurait déclaré alors : « qui sait si un jour ta tête n’ornera pas un gibet ! ». A l’âge de 20 ans, il reçoit du grand maître soufi ’Amr ibn ’Uthman al-Makki la robe de laine, sûf, dont les soufis tirent leur nom. C’est à la même époque qu’il se marie (avec la fille d’un autre maître soufi, Abu Ya’qub al-Aqta’, ce qui est une pratique fréquente dans les milieux soufis), et il aura plusieurs enfants : le mysticisme musulman, à la différence de ce qui se fait dans l’Europe médiévale, ne se pense pas en coupure avec le monde. Al-Makki lui remet aussi la licence d’enseigner, le nommant cheikh.
Rappelons que le soufisme est en lui-même une démarche mystique, qui doit mener à une meilleure connaissance de Dieu : il s’agit de passer du sens extérieur, visible (zâhir), au sens intérieur, caché (bâtin), le tout dans un parcours spirituel de plus en plus codifié. Al Hallâj joue d’ailleurs un rôle important dans la fixation de la terminologie du soufisme : il impose par exemple la notion de dévoilement (kashf), liée à l’idée d’un Dieu pensé comme Lumière. Paradoxalement, Al Hallâj contribue donc à la normalisation du soufisme ; il faudra cependant attendre le XIème et XIIème siècle, avec Ibn Arabî, pour que le soufisme s’affirme comme la science religieuse par excellence. L’itinérance de Al Hallâj est là aussi emblématique : entre l’Indus et Bagdad, la Perse et La Mecque, la mobilité géographique est pensée comme complémentaire à la progression spirituelle. Dès la fin du Xème siècle se mettent en place des institutions destinées à l’accueil de voyageurs en général et de soufis en particulier : ce sont les khânqâh, maisons d’accueil dirigées par un cheikh, ou encore les ribât, établissements à la fois défensifs et hospitaliers dont les Almoravides tireront leur nom.
Toute sa vie, Al Hallâj sera attiré par l’austérité qui s’attache au soufisme : lors de son dernier séjour à La Mecque, il réside plus d’un an dans la Ville Sainte, dans des conditions d’extrême pauvreté. Le disciple est d’ailleurs appelé faqîr (au pluriel fuqarâ’), ce qui veut dire « pauvre ». Il s’agit pour lui de multiplier les retraites, à l’image de Muhammad lui-même, pour retrouver les vertus (khulûq) du Prophète. De même, son origine humble ne fut jamais un obstacle : loin de la renier, il sut au contraire en jouer, se présentant comme un « cardeur d’âmes ». Il fut lui-même un maître, perpétuellement entouré de disciples, les faisant progresser sur leur voie spirituelle (leur tariqât). Jusqu’au jour de sa mort, il enseigna et se posa comme modèle.

Une pensée mystique

Même si ses œuvres sont brûlées à sa mort, ses disciples récupèrent ses écrits et ses poèmes, comme par exemple des sentences détachées (riwâyât), des oraisons poétiques (les shatahât), ou encore un traité théologique sur Satan (Tâwsîn al-Azal). Sa pensée survit ainsi à son supplice. Al Hallâj a construit une complexe pensée mystique, qui va profondément influencer ensuite les mystiques en général, les soufis en particulier, et Rûmî [2] surtout. Mêlant la prise rimée (sâj) et les vers, ses textes sont aussi des poèmes, souvent très beaux.
Pour Al Hallâj, le but ultime est d’atteindre Dieu, de se fondre en lui, de ne faire plus qu’un avec lui. Cette fusion ne doit pas passer par la contemplation (c’est ce que théorise Junayd) mais au contraire par l’extase. D’où l’importance l’amour : il faut s’enivrer de l’amour de Dieu, de l’amour pour Dieu. « Je suis devenu celui que j’aime, et celui que j’aime est devenu moi. Nous sommes deux esprits fondus en un seul corps ! » peut-il ainsi écrire. Au final, cela mène à un anéantissement du soi, tout entier absorbé dans l’Etre divin : c’est la fanâ’, la disparition de l’âme en Dieu. D’où le fameux « Ana el-Haqq », « Je suis la Vérité », de Al Hallâj, qui choqua tellement ses contemporains, car « le Vrai » (el-Haqq) est l’un des noms secrets de Dieu dans l’islam. Al Hallâj affirmait ainsi non seulement avoir atteint la Vérité, but ultime de toute la démarche mystique, mais aussi être devenu semblable à Dieu, ce qui suffisait pour passer de l’hétérodoxie à l’hérésie. De même pour les miracles : si l’islam reconnaît que de saints hommes peuvent, par la grâce divine, accomplir des miracles (karamât), les interventions divines (mu’djizât) sont réservées aux Prophètes, tel Moïse invoquant la colonne de feu pour le guider dans le désert ; or Al Hallâj revendiquait pour ses propres miracles le second terme, et non le premier, se posant donc comme un prophète plus que comme un saint, ce qui pose évidemment problème dans la mesure où Muhammad est présenté comme le « sceau des Prophètes », donc comme le dernier prophète. D’ailleurs, Al Hallâj fut adoré par ses disciples comme un Prophète, voire comme une incarnation divine : « tu es le Créateur, l’Eternel, l’Illuminateur » commence une lettre de l’un de ses élèves. Or le cœur de la foi musulmane est la croyance en un Dieu unique, qui n’a pas d’associé car il transcende en tout point ses créatures (c’est ce qu’on appelle le tawhid, le dogme de l’unicité divine). Même si Al Hallâj prit tout au long de sa vie position contre toute forme d’associationnisme (« loin de moi, loin de moi l’idée d’affirmer “deux” ! » écrit-il), il n’en reste pas moins que cette union mystique à Dieu, dans laquelle le croyant devenait lui-même Dieu, dans laquelle Dieu s’incarnait en sa créature au point que « le voir, c’est me voir, et me voir, c’est le voir », s’éloignait violemment de l’orthodoxie.
De plus, dans cette lecture avant tout mystique de la religion, Al Hallâj faisait passer au second plan les rites et les usages religieux – d’où sa volonté de supprimer le pèlerinage à La Mecque, ou plutôt de le remplacer par un « pèlerinage votif », c’est-à-dire en esprit. « J’ai abandonné aux gens leur religion et leurs usages pour me dédier à Ton amour, Toi ma religion et mon usage » écrit-il. Le culte pourrait être un obstacle pour celui qui cherche l’amour de Dieu, à l’image des richesses du monde, que le soufi doit mépriser : « mon esprit a banni tout amour, car seul le tien m’est autorisé ». Une position qui là encore ne pouvait que fortement déplaire tant aux oulémas qu’aux élites politiques, étroitement liées aux précédents. Mais ce refus du culte permet aussi à Al Hallâj de voir toutes les religions comme les facettes d’un même tout : « j’ai longuement réfléchi aux diverses religions en tâchant de les assimiler, puis je les ai ramenées à un seul fondement ayant maintes ramifications ». Il est possible que, lors de son séjour en Orient, Al Hallâj ait été influencé par le bouddhisme, qui l’aurait poussé à considérer que les formes extérieures de religiosité comptent moins que le parcours intérieur du vrai croyant. Même s’il est difficile d’en faire un artisan du dialogue interreligieux sans forcer sa pensée, cette position globalement universaliste a poussé Louis Massignon a faire une lecture christique de son supplice : crucifié pour avoir affirmé qu’il entretenait une relation spéciale à Dieu, défendant une religion faite d’amour et non de culte, pardonnant à ses bourreaux au moment de son trépas, Al Hallâj devient, pour le savant français, un nouveau Christ.

Conclusion

Al Hallâj est un homme de son temps, qui participe pleinement de la formalisation du soufisme, et qui sera d’ailleurs l’un de ses grands maîtres à penser. Mais, par sa condamnation, il participe aussi à la formation d’une orthodoxie qui se donne les moyens – intellectuels et judiciaires – de s’imposer face à des forces centrifuges toujours très fortes en terre d’islam. Homme de son temps, Al Hallâj touche à l’universel dans ses écrits mystiques, et on entend dans ses poèmes les échos du Cantique des Cantiques, de Maître Eckhart, de Thérèse d’Avila.
Bibliographie
- L. Massignon, La passion de Husayn ibn Mansûr Hallâj, quatre volumes, 1975.
- Poèmes mystiques, traduction et édition par Sami-Ali, 1998.
[1La conjonction entre hérésie et lèse-majesté n’est pas réservée à l’Orient musulman. Dans l’Occident médiéval, le rapprochement entre les deux notions participe puissamment de la construction de l’Etat moderne.
[2Célèbre poète et mystique persan ayant vécu au XIIIème siècle.
Source



samedi 27 octobre 2018

Félicitations aux islamistes par Abdallah Abou Sharkh

Par Abdallah Abou Sharkh  
écrivain et enseignant palestinien

Finalement, les islamistes Frères musulmans, salafistes, jihadistes ont réalisé leur rêve : transformer la société en l’islamisant par le bas.
Sauf pour un nombre infime, les gens continuent à penser que l’éloignement de la religion est la cause du recul de la civilisation et de l’effondrement [de la culture NDT] auxquels nous assistons. Les islamistes ont conduit la plus grande opération de mensonge et de falsification de l’Histoire. Certains prônent l’instauration d’un état gouverné par un calife sans démontrer que le gouvernement du calife, à travers l’histoire, n’a jamais été un gouvernement de justice sociale, que le Conseil des Sages n’est pas synonyme de démocratie et que toute l’histoire de l’islam n’a pas connu d’alternance pacifique de l’autorité. Plus personne n’a de connaissances sur l’émergence des sectes, des doctrines, les querelles et les luttes au cours desquelles des compagnons [du Prophète]  ont tué d’autres compagnons [du Prophète].
Aucun jeune, qu’il soit garçon ou fille, n’a entendu parler d’Ibn al-Rawandi (1), d’Abi bakr al-Razi (2), de la philosophie d’Avicenne (3), de la poésie d’Abou al-‘Ala’ al-Ma’arri (4). Oui, nous reconnaissons tous que les Frères musulmans et les salafistes ont une force et une prestance face aux pays en révolte contre le despotisme et la tyrannie : ils réclament «temporairement» un état civil, et, lorsqu’ils saisiront les rênes du pouvoir, ils feront volte-face et renieront la démocratie qui les a menés au pouvoir, tant il est facile aux islamistes de faire un revirement et de changer de discours.
Abou Hamed al-Ghazali (5) dresse toujours son étendard au vent contre la rationalité représentée par Averroès. Pourquoi ne décrivons-nous pas le réel tel qu’il est ? Les gens ne racontent et ne parlent qu’au nom de Dieu, qu’avec la permission de Dieu, qu’avec des «grâce à Dieu», «si Dieu le veut» et «la paix soit sur vous» à la place d’un bonjour. Félicitations aux islamistes pour leur domination tyrannique sur les gens simples et surtout sur les analphabètes (50 à 70% [des musulmans NDT]). Le vrai mot doit être dit. Vous, les islamistes, vous avez entraîné les pays arabes et islamiques vers le précipice. L’esprit religieux est un esprit qui retient et rumine tout ce qu’il a appris mais il ne critique rien, ni n’excelle en rien. Vous allez entraîner les pays d’un despotisme vers un autre despotisme et vous ramènerez les sociétés des siècles en arrière, à moins que nous n’y soyons déjà, et  alors, l’affaire est bouclée.
Mille félicitations aux islamistes. Ils ont dominé les esprits des jeunes par cette mystification que le retard et la faiblesse sont dus à l’éloignement de la religion alors que c’est forcément l’inverse qui est vrai. Vous avez diffusé l’islamisation populaire qui est contraire aux libertés. Félicitations aux islamistes qui ont camouflé et falsifié la pensée des savants de l’état abbasside et sont devenus eux-mêmes les savants de l’islam alors que la plupart des savants abbassides avaient des positions claires et nettes sur le surnaturel et la religion.
Félicitations aux islamistes. Vous avez tué les plus remarquables des penseurs comme Faraj Fodé (6), Hussein Marwa (7), vous avez pourchassé al-Qomni (8) et Nasr Abou Zayd (9), Fouad Zakariyya (10), al-Baghdadi (11) et bien d’autres, et c’est ainsi que les esprits se sont obscurcis. Nos jeunes n’ont pas entendu parler d’al-Farâbi (12) et de sa République vertueuse (La cité vertueuse – NDT), [philosophe qui vécut] au cours de périodes où régnaient le désordre et l’insécurité.
Oui, nous bénissons les islamistes d’avoir imposé le hidjab et d’avoir jeté l’anathème sur la non-voilée. Vous avez créé avec le hidjab et le niqab un problème grâce auquel vous avez accaparé le monde comme si, une fois nos femmes voilées, nous devenions un grand état, comme si nous détruisions le fossé de connaissance qui nous sépare de l’Occident, et vous feignez d’oublier que les autres nations sont engagées vers la quête du progrès médical, de l’espace, du génie génétique, cherchent à résoudre le code de l’hérédité, l’agriculture moderne et la nano- technologie. Oui, avec ce retard considérable de connaissance et de culture, nous affronterons l’Occident avec ses sous-marins atomiques, ses fusées dirigées au laser et par l’informatique. Vous avez répandu le sous-développement, l’obscurantisme et le terrorisme. Vous avez inspiré aux enfants la crainte de la tombe pour que chacun  reste effrayé toute sa vie, vous en avez fait des hommes dont vous avez anéanti la raison et pillé la volonté, qui n’ont plus d’espoir pour eux-mêmes et encore moins pour la patrie !
A vous nos félicitations, vous, ce public islamique effroyable qui représente la majorité du peuple, vous qui avez brulé beaucoup de livres parmi lesquels « De la poésie préislamique » du génial Taha Hussein (13), vous qui avez privé les gens de tout contact critique et scientifique à l’égard de ce que nous ont transmis les ancêtres. Nos félicitations aux masses du grand islam quand l’un d’entre eux poignarde au cou Naguib Mahfouz (14) après une fatwa émise par un déséquilibré quelconque, tant ils sont nombreux !
Nos cordiales félicitations aux islamistes qui ont rusé pour faire de la religion et des choses sacrées une science enseignée dans les écoles et les universités alors que la plus banale condition de la science est qu’elle est sujette au doute, au changement et à l’évolution, contrairement à la religion qui nous raconte des événements surnaturels immuables qui ne sont soumis ni à l’évolution, ni au changement, ni à la critique ni au moindre amendement. Félicitations, vous avez vaincu le mouvement mu’tazilite (15) pour que la religion ne soit plus soumise à la raison mais soumise à la tradition, faisant ainsi que des lois et des fatwas, âgées de 1400 ans, gouvernent le destin des peuples dont on dit faussement qu’ils vivent au 21e siècle.
Félicitations aux islamistes pour avoir égorgé 200.000 personnes en Algérie par attrait du pouvoir. Félicitations pour leur capacité à camoufler, à égarer, à aveugler, à tel point qu’il n’y a pas un défilé, pas une occupation de locaux quelque part pour dénoncer qu’on égorge des gens et même des enfants sans qu’eux ne brandissent le verset : « […] et ils n’enfanteront que des dévoyés, des effaceurs (Noé 71-27) » Félicitations aux islamistes et aux salafistes qui ont dressé des pièges explosifs qui ont tué 1.250.000 Irakiens, dont la majorité dans une sale guerre communautaire entre Chiites et Sunnites ! Félicitations à vous pour avoir appliqué la charia au Soudan pour que le Sud se sépare de votre folie et de votre charlatanisme. Félicitations à vous pour avoir interdit le soutien-gorge aux femmes somaliennes sous prétexte qu’il dupe les jeunes sur le volume des seins !
Nos sincères félicitations aux islamistes pour les étranges et étonnantes fatwas dont la dernière de la Kuweitienne Salwa al-Matiri qui rend licite l’achat de femmes esclaves afin d’appliquer le verset relatif au nombre de femmes que l’homme peut épouser (16), et cela, après que l’humanité s’est débarrassée de la traite des humains et de l’esclavage. Dans les pays développés, les gens s’occupent de la recherche pour lutter contre le cancer et les maladies mortelles alors que nous, nous sommes affligés par ceux qui inondent les gens de leur discours vide et de leur  polémique stérile. Le monde développé concentre son action sur une station spatiale internationale alors que nous, nous sommes préoccupés par la manière d’entrer dans les toilettes, par le droit relatif à la période menstruelle, aux suites de couches, à la façon d’allaiter un adulte et à la question de savoir si chevaucher le corps de son épouse morte est licite ou illicite !
Enfin, et ce n’est pas tout, nous disons aux islamistes toutes nos félicitations pour leur triomphe sur les intellectuels et les penseurs. Enregistrons ces félicitations. Vous avez hérité de la terre arabe et de ses peuples. Cette terre est devenue aride, sans âme, sans vie, ces peuples sont dépourvus de toute raison critique et créative. Vous en avez hérité et vous en avez fait un désert inculte, sans arts ni sculpture, sans musique ni chant, sans théâtre ni poésie ou divertissement, sans industrie ni agriculture. Vous avez fait de  tous nos peuples des mendiants aux portes du FMI qui quémandent  la générosité des grands pays et ajoutent ainsi des dettes aux dettes anciennes. Agissant ainsi, vous êtes venus à bout de nos capacités de croissance économique.
Après tout cela, n’avons-nous pas le droit de féliciter les islamistes de leurs victoires émérites contre la civilisation, les lumières et la modernité ? Puissiez-vous rester en bonne santé !    
Traduit de l’arabe par Bernard Dick

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