dimanche 30 décembre 2018

Calendriers : Quel temps fait-il dans la tête ? faut-il ou pas fêter le Nouvel an ?




Un étrange débat algérien depuis les années 90 : faut-il ou pas fêter le Nouvel an ? Les détracteurs disent non : le Nouvel an est occidental, chrétien, impie, colonisateur, étranger. Et nous sommes arabes, musulmans et Algériens. Ce qui est faux : le Nouvel an est romain, pas français. Il est païen pas chrétien. Tout autant que le calendrier de l’hégire qui remonte à Haggar la seconde femme d’Ibrahim et pas à la fameuse hijra, fuite d’un prophète et de son compagnon. Les mouhajirounes qui se présentent comme les exilés, sont en fait les arrière-petits enfants de Haggar (ô troublantes parentés et mystérieux cousinage) et pas les pères du calendrier arabe. Le lien avec l’Algérie ? La colonisation (réussie) des Arabes. Depuis, le pays fête ce qu’il ne récolte pas, mais fête ceux qui sont venus prendre des récoltes chez lui. Du coup, une possibilité de résistance aux temps des autres : je ne fête ni le calendrier de l’hégire, ni celui de Rome. Le temps « arabe » commence par une fuite en avant et continue sur une fuite en arrière. Le temps de Rome commence par une invasion et n’a pas fini avec la décolonisation. Le calendrier de l’hégire a provoqué même des maladies chez nous : on est officiellement né dans un endroit où nous n’avons jamais mis le pied : le Hedjaz.
- Et le calendrier de Rome provoque de mauvais souvenirs qui se traduisent par des réactions de rejets identitaires assises sous forme de fatwa, ou debout sous forme de guerre de libération. Avec des signes de confusion : personne ne sait, ou ne dit, en quelle date a commencé la révolution du 1er novembre selon le calendrier de l’Hégire. D’ailleurs, certains imams refusent de se lever à l’hymne de l’Algérie et au drapeau du pays à cause de ça : il y a le temps de l’Islam et le temps perdu, selon eux. Le salafiste terroriste est celui qui a tiré la 1ère balle un 1er Muharram pour libérer la Oumma. Reste que si on calcule selon l’ancienneté (le calendrier le plus vieux dans le grade le moins élevé), le temps commence avec le calendrier amazigh. A cette époque des origines, nous étions tous d’origine. Peuple de la terre du milieu, destiné à de longues colonisations et à de courtes libérations. De ce calendrier ne nous reste que le Yennayer, fête des récoltes et des anciennes divinités. Aujourd’hui toutes deux importées : divinités et fruits secs. Le quatrième temps, plus immédiat mais aussi flou que les autres, remonte au 1er novembre 54. Là, le temps commence quand on tiré la première balle, le 1er novembre de la première année de la guerre. On aurait pu avoir Abane, Ramdane, Amirouche, Ben M’hidi, etc., à la place de janvier, février, mars, avril, etc. Mais le choix a été fait de donner à l’espace les noms des martyrs, pas au temps. Les salafistes, quant à eux, donnent les noms des compagnons du prophète aux mosquées et aux batailles. Pour nous cependant, c’est une bonne décision : on a trop de martyrs et seulement 12 mois et cinquante ans d’indépendance. On s’imagine la longueur de l’année algérienne avec 1,5 millions de morts durant la guerre. Et on s’imagine ce que serait un mandat de Bouteflika calculé sur ce calendrier de l’année qui vaut mille ans dans les autres calendriers.
- A la fin, pour avoir son propre calendrier dans le monde, il faut avoir cinq choses : des récoltes (les calendriers fêtent les récoltes, pas les importations alimentaires). Il faut fonder une religion, pas AQMI ou la plus grande mosquée d’Afrique. Trois : il faut avoir une armée puissante qui puisse imposer le temps du conquérant, au temps du conquis. Quatre : Il faut maîtriser l’astronomie, pas la réfection des trottoirs. Cinq : il faut travailler beaucoup, produire, vendre et imposer ses lois et son marché : le repos du puissant est un jour férié, le repos du faible est un congé payé ou un congé de maladie. Donc la réponse à la question du début ? Oui je fête. Toutes les fêtes du monde. Et je suis prêt à ne pas fêter le Nouvel an de Rome, quand on cessera de fêter le nouvel an du Hedjaz. En attendant, c’est le temps perdu du reste de l’année qui devrait nous inquiéter. Et la fatwa qui condamne la bûche au bûcher ? Les fatwas ne nourrissent pas les peuples, elles n’assurent que les salaires des imams et le pouvoir des émirs. 
Kamel Daoud

Tamazight : la souffrance féconde par Amin Zaoui



À Nedjima Plantade, spécialiste du monde amazigh, qui nous a quittés le 13 décembre 2018.

Entre courage, déception, hésitation  et trahison, s’installe le tamazight  dans l’école algérienne. Je le ressens, ce malaise générationnel qui tourmente l’Algérie. Je ressens ce sentiment  de fatigue ou d’angoisse qui courbe les épaules des femmes et des hommes, militantes et militants de la première heure. Quelque chose a craqué !
Lassitude ? Relâchement ? Dégoûtage ?
Certes, le flambeau est passé, il est entre les mains de la troisième génération des militants pour la généralisation de la scolarisation de tamazight. Ainsi j’imagine la scène historique plantée par les héroïnes et les héros de la cause amazighe.   
1- La première génération, celle des vétérans, petit à petit, s’éloigne dans le temps et dans les plis de la mémoire collective!
La génération des doyens, celle de Mouloud Mammeri, est constituée des géants et des génies. Elle est aussi la génération de la souffrance féconde. Elle a creusé dans le malheur et dans l’espoir, sans relâche. Dans l’amertume et dans le bonheur de la découverte, sans chantage ni marchandage. Cette génération des doyens a été forgée dans la vigilance politique nationaliste et dans la réflexion intellectuelle civilisationnelle.   
Ces noms entre autres resteront à jamais gravés sur les tablettes de l’Histoire : Si Mohand, Taos Amrouche, Saïd Boulifa, Youcef-Ou-Kaci, Rachid Aliche, Belaïd Ath Ali, Da Abdallah Hamane, cheikh Lhoucine, Amar Mezdad…
Une génération qui a su comment mijoter la sagesse de la réflexion et la folie de la création littéraire sur le feu d’un militantisme averti. Une génération qui a  pu raccorder l’exigence du terrain miné par le politique, à la recherche théorique et pédagogique. La sagesse et la détermination.   
2-  La génération/action  
Une génération qui a été forgée dans l’amertume des épreuves de la construction de l’État nation. Elle s’est distinguée à partir des années 80. Dans la censure, la violence, le musellement et les prisons nationales. Dans sa stratégie, poussée par l’enthousiasme et la réclusion, la présence sur le terrain a pris le dessus. L’action. Le politique est conjugué à la colère. La voix de la revendication est nette. Le discours direct. Cette génération dont la voix fut forte et sans concession, est symbolisée par un nombre important d’artistes musiciens, de poètes, de romanciers et de chercheurs linguistes.  Parmi les soldates et les soldats de cette génération on peut citer entre autres :   Tasadit Yacine, Salim Chaker, Saïd Saadi, Nedjima Plantade, Mohand-Ou-Yahia, Abderrahmane Bouguermouh, Idir, Aït Menguellet, Ferhat Mehenni, Matoub Lounès, Mohand-Akli  Salhi, Saïd Chemakh, Abdennour Abdessalem, Youcef Merahi, Ibrahim Tazaghart…  Avec cette génération,  la voix de la Kabylie a été portée très haut dans la revendication politique et dans la confirmation culturelle. Les chercheurs creusent dans la création littéraire, musicale, cinématographique, théâtrale. Et l’image de Da Lmouloud est quasi présente. Une sorte de sacralisation politico-identitaire.
3-  La génération de l’hésitation :    
Cette troisième génération renferme une nouvelle culture, un autre tempérament du militantisme et une touche d’engourdissement. Les faiseurs de cette génération sont les enfants de l’école algérienne et de l’université algérienne. Ils sont des poètes, des journalistes, des musiciens,  des médecins, des chercheurs, des chômeurs…  
Cette troisième génération se trouve face à trois éléments qui brouillent son chemin du combat :
a-   L’islamisation qui menace la Kabylie. On compte un nombre inimaginable de mosquées de l’intégrisme et du wahhabisme qui poussent comme des champignons dans les wilayas de Tizi Ouzou  et Bouira. Ce nombre  des mosquées du fondamentalisme  dépasse de loin le nombre de toutes les mosquées construites dans un pays comme le Qatar ou les Émirats arabes unis.
b-  Les médias : bien qu’elle soit une ouverture anarchique et confuse du champ médiatique visuel, nous avons espéré un meilleur service et une vision plurielle pour les utilisateurs, malheureusement quelques  pseudo-chaînes télévisuelles alimentent la haine et le charlatanisme religieux, politique et culturel en usant de langue amazighe.
c-  Dès que le pouvoir a nationalisé “la revendication linguistique amazighe”,  les pires ennemis de la langue amazighe d’hier, les opportunistes, se sont métamorphosés en défenseurs de cette cause identitaire historique. Après l’épuisement politique de la religion, des partis conservateurs et islamistes ont fait du tamazight  leur  nouveau fonds de commerce politique. Les cartes ont changé mais les joueurs sont les mêmes !    
d- Théoriquement et loin de tout jugement,  l’école a pris en charge l’enseignement du tamazight, mais  les obstacles sont énormes et multiples : politiques, religieux et institutionnels. De ce fait, gare à l’amazighisation dans l’école à la manière de l’arabisation des années 70 !
La nouvelle génération porteuse de la cause de l’amazighité se trouve noyée entre les faux et les faussaires ! Le confus règne. Il n’y a plus d’adversaire concret et visible, mais tout est bloqué ou presque. Le pouvoir a changé de place mais cloué dans sa stagnation.  Un autre ennemi prend la relève,  celui qui, au nom des variantes linguistiques, veut tirer sur l’ambulance. Sur tout ce qui a été réalisé depuis les Mammeris. Ce danger se cache derrière, dans l’idéologie islamo-baathiste, afin de démolir tout ce qui a été construit par Da Lmouloud et ses enfants,  en  appelant à l’utilisation des caractères arabes dans l’écriture de tamazight.


A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr

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mardi 25 décembre 2018

Le banc public par Kamel Daoud


Question sérieuse : que faire de son temps en Algérie ?
Que peut-on faire en Algérie ?
On ne peut pas devenir Président, il n’y a qu’un poste, à vie.
On ne peut pas danser, car le son est coupé depuis des décennies, la musique est haram et danser c’est se prostituer selon les religieux.
On ne peut pas «boire» car personne ne boit en Algérie. Tous attendent d’aller au paradis pour se saouler.
On ne peut devenir riche, car cela signifier soit travailler, soit voler et se faire voler, soit se faire maquer ou se faire bloquer.
On ne peut pas rire, car cela attire le regard, le mauvais œil, la sécheresse ou la moquerie.
On ne peut pas dessiner, car c’est faire concurrence à Dieu ou au portrait officiel et à la religion du «cadre».
On ne peut pas nager, car il vaut mieux dans ce cas ramer et ne pas revenir.
On ne peut pas voyager en Algérie, car il n’y a pas de sécurité, de confort, d’intérêt, de beaux endroits, d’autorisations, de sérénité et de sentiment de d’évasion. Voyager dans une prison c’est «bouger», pas voyager. C’est très cher et c’est comme tourner en rond.
On ne peut pas sortir le soir car la «nuit» est dangereuse. On a encore la culture du couvre-feu, la peur du gyrophare. La nuit, le pays suspend son emploi de pays. C’est un terrain vague, une marée basse, une mi-temps.
On ne peut pas aller à la piscine, car il n’y a pas de piscines. Ni voir un film, car il n’y pas de cinémas. On ne peut pas aller à des fêtes, car les fêtes sont tristes et on en sort déprimé.
On ne peut pas être touriste, car le pays est étroit et manque de libertés ; ni être jeune, car le seul moyen d’en sortir c’est d’être vieux très vite ; ni être une femme, car c’est horrible, injuste, mauvais. Ce n’est pas un sexe mais un puits avec une enterrée qui répète un prénom et un âge. Être femme c’est avoir un sexe sur le dos pas entre les jambes. C’est être voilée ou violée.
On ne peut pas être un couple si on n’a pas un livret de famille à présenter quand on commande un café.
On ne peut pas faire du pilotage, ni faire du ski, ni embrasser librement, ni s’asseoir face à la mer sans se faire contrôler, ou se faire chasser par une patrouille.
On peut pas se rassembler aussi. Ni voter réellement. Ni séduire sans insulter ou se laisser séduire sans se faire accuser.
En Algérie, on ne peut marcher sans destination, car c’est menacer l’ordre public. On ne peut pas entreprendre librement, ni créer sans dossier plus lourd que votre volonté, ni assumer, ni pique-niquer.
On ne peut pas aller au stade, à la forêt, ni être trop beau, ni porter une jupe sans escorte de casques bleus, ni vendre des oranges aux bords d’une route, ni rêver d’une route.
On ne peut rêver des histoires, car il n’y a qu’une seule et elle n’est pas finie. Et on ne peut rêver avec des ailes et voler, car il faut passer par la mosquée, faire des ablutions et enlever ses chaussures et son cerveau.
En fait il y a deux métiers agréés en Algérie : se prendre pour Dieu et parler à sa place, tuer à sa place, donner la vie ou la mort à sa place, décider du menu et de l’orgasme à sa place ou se mettre en colère à sa place puis créer un parti et prendre sa place. Ou aller à La Mecque pour dire qu’on l’a rencontré sur place.
Ou se prendre pour les martyrs éternels de la guerre d’indépendance et parler à leur place, manger à leur place, prendre des terrains et des pensions à leur place, se donner des galons et des mandats à leur place, leur donner les noms des rues et prendre en leur nom les maisons, voter à leur place, tout faire à leur place, mais surtout ne jamais mourir à leur place. Là, non. Il s’agit de vivre à la place du Martyr et de frapper à la place du Colon. Il faut s’y faire militaire ou imam.
Et si on n’est pas Allah autoproclamé, ni un Chahid, ni courtier pour l’un des deux ? Là, il faut ramer. Et très vite. Le pays est sans loisirs, sans joie. Il est vieux et ennuyeux. On y prie, on s’y ennuie. Arrêts et minarets. Salles d’attente et salles de prière. C’est cela la tragédie : le pays est sans loisirs. Il s’est libéré pour s’enfermer. Il est mort jeune pour vieillir sans fin. Tout le reste est prêches et blablas. On s’y ennuie à mourir et on n’y meurt même pas. Ou si, lentement. C’est le plus petit pays du monde, une île, un tuyau, un robinet, une serrure, un trou. C’est le pays le plus étroit, le plus long à traverser entre l’accouchement et le jugement.
Déprimant de lire ça ? Non. Moins que de le vivre dans les villages algériens, le pays profond après 17 heures. L’espoir ? Dans la natation pour certains. L’envers de la création.
Que faire de son temps libre en Algérie ? Le temps est libre, pas nous. Voilà.

Kamel Daoud in  Le Quotidien d'Oran

samedi 22 décembre 2018

Grève d’imams : quand l’usine de production de foi est bloquée



Si tous les imams rentraient dans une grève illimitée ? Supposons-le ! Si, ainsi, et par conséquent toutes les mosquées du territoire, du sud au nord, de l’est à l’ouest,  seront scellées de l’aube jusqu'à l’aube ? Supposons-le ! Si, ainsi, et par contamination religieuse et syndicalisme divin, et en soutien à leur frère d’Allah, tous les muezzins observeront, eux aussi, une position ferme de mutisme, pas “un seul Allah akbar” ne sera largué depuis les toits des mosquées et depuis les seuils des portes de garages aménagés en salles de prière, pour une durée illimitée ? Supposons-le ! Donc, imaginons-nous cette situation apocalyptique dans une Algérie dont la Constitution dans son article 2 confirme, et sans nuance aucune, que “l’islam est la religion de l’État” !
La cata ! !
Les imams en grève, les muezzins sans haut-parleurs et les mosquées fermées, devant une telle situation, certes, nous passons vers une autre vie, un nouveau monde. Nos villes seront autrement, nos femmes aussi. Les rues et l’eau des ablutions dans les robinets.  Une fois les imams en grève, les muezzins sans haut-parleurs  et les mosquées fermées, que se passera-t-il dans nos villes et dans nos villages où se lèvent plus de trente mille mosquées, plus de soixante mille minarets, plus que le nombre de toutes institutions pédagogiques scolaires et universitaires y compris le Commissariat à l’Énergie atomique Comena tous réunis. Mille fois plus élevé que le nombre des hôpitaux étatiques et les cliniques privées : Que se passera-t-il dans nos villes et dans nos villages où se lèvent plus de trente mille mosquées cadenassées ? Nos cafés seront remplis, beaucoup plus qu’à l’accoutumée, hommes sur hommes ! Il n’y aura plus de stationnement gênant et illégal sur les trottoirs avoisinants des mosquées, à l’heure de la prière, parce qu’il n’y aura pas d’appel à la prière, et tout simplement  parce qu’il n’y a pas d’imam pour guider les cinq prières quotidiennes. Les imams en grève, les muezzins sans haut-parleurs et les mosquées fermées, les fidèles tranquillement attablés dans des cafés bondés d’hommes, de fumée et des crachats du chemma, tabac à chiquer, ces fidèles momentanément appelés les ex-fidèles, qui possèdent des montres ou des téléphones portables intelligents made in Algeria ! Dont les alarmes sont réglées à l’heure de chaque appel à la prière, des voix orientales égyptiennes ou saoudiennes, se lèvent en même temps avec Allah akbar. Le patron du café murmure : c’est un café pas une Kaâba ! ! Les fidèles attablés, momentanément appelés les ex-fidèles, modifient discrètement les alarmes mode “Allah akbar” en musique de Rachid Taha ou de Dahmane El Harrachi. Parce que les prieurs, tous prieurs y compris les vrais comme les made in Taiwan, en soutien aux imams et aux muezzins, eux aussi, observent une grève illimitée de la prière. Comme la grève de la faim ! Les imams en grève, les mosquées fermées, cela produit moins de politique islamiste, moins de vendeurs de pastèques devant les demeures d’Allah tolérés par la police. Les muezzins en grève, les mosquées fermées les haut-parleurs sur les minarets ne servent à rien, les bébés, les mamans des bébés et les malades prolongent leur sommeil jusqu’au lever du premier rayon de soleil méditerranéen. Les imams en grève, les mosquées fermées, cela signifie plus de chômage pour les voleurs des chaussures. Les imams en grève, les muezzins sans haut-parleurs et les mosquées fermées, cette information nous procure un fou rire illimité comme la mesure de cette grève religieuse illimitée. Cette grève des qamis  engendre-elle des conséquences négatives sur l’économie, ou sur la foi des fidèles ? Le fidèle, le véritable fidèle, avec ce temps qui court, et avec tout ce qui se passe dans quelques mosquées (des crimes d’assassinat et des bagarres pour l’occupation des minbars et les guerres à cause des caisses de la zakat) préfère accomplir sa prière à la maison, chez lui.  En Algérie, Dieu préfère rencontrer ses fidèles dans leur maison mieux que dans cette demeure qui porte son nom. Mais si les imams sont en grève, les muezzins aussi et les mosquées sont cadenassées, est-ce que la chaîne de production en matière de la foi sera-telle grippée et bloquée ! Les imams en grève, les muezzins sans haut-parleurs et les mosquées fermées, mais la vie continue son cours normal, donc ça sert à quoi un ministère de la religion ?

A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
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vendredi 14 décembre 2018

Lettre ouverte à l'exilé inapte au bonheur par Kamel Daoud



Je te rencontre souvent en Occident. Lors d'une séance de signature dans une librairie, lors d'une conférence dans une université ou lors d'une rencontre publique. Tu n'es jamais assis aux premiers rangs, mais souvent au milieu, ou à la dernière rangée : expression de ce corps que tu veux suspendre entre deux mondes, vivre en occident, et revivre ton pays d'origine. Confession de ce choix qui n'a jamais été fait par toi : vivre pleinement, entièrement dans le pays de l'Arrivée. Alors tu te veux vigilant et invisible, méfiant et inquiet, choisissant la marge mais souffrant de vivre en marge, insatisfait comme si s'intégrer était trahir. Tu te veux en Algérie, en Tunisie, au Maroc, mais aussi à la fois en France en Allemagne, en Italie.
« Je suis déçu par vous » tu m'avais dit en levant la main dans cette librairie ancienne. Cette fois à Toulouse. « Je vous appréciais plus quand j'étais à Oran, durant vos premières années » as-tu résumé ton dépit. En première réaction, parce qu'Algérien comme toi, j'étais tenté d'être cru. Te dire que c'est toi qui as changé de pays et de vie et tu veux que je reste figé dans ta mémoire, à meubler ta nostalgie ou justifier tes rancunes et tes blessures. Mais j'ai préféré te regarder puis te répondre lentement : Tu es en souffrance et tu ne le sais même pas. C'est toi qui es décevant : partir si loin et rester au fond du même puits.
Car tu es souvent sur ma route : algérien, marocain, tunisien, « arabe » générique, étudiant, intellectuel, universitaire, exilé lettré ou alphabétisé. Venu en France mais détestant la France, vivant l'Occident entier comme une sorte de France universelle et refusée. Mal assis entre deux chaises, ou trois. Inquiet et agressif, confondant la ruse et l'intelligence. J'avais envie de te dire que c'est un comble : tu m'accuses de « servir le discours de l'extrême-droite » et tu conclus, peu à peu, que je dois ne plus écrire, me taire sur nos radicaux, les gens qui croient que porter une barbe fait de vous un Allah, ou qui possèdent la vérité, saccagent, assassinent ou veulent faire reculer le pays dans ses cavernes et les femmes vers le statut de la monture animale. Est-ce tout ce que tu as appris de ton exil ? Interdire la parole comme solution à ta faiblesse ? Tu veux à la fois profiter de la liberté dans le pays de ton arrivée et m'interdire à moi de parler de ma réalité dans mon pays ? Toute la démocratie de l'Occident qui t'a accueilli ne te sert qu'à plaider pour la censure en Algérie ? Je dois me taire sur les drames, les échecs de mon pays, juste pour ne pas égratigner ton image narcissique en Occident ? Je ne dois pas dénoncer une femme qui passe ses examens de médecine en burqa en Algérie et qui peut tricher, pendant que toi tu profites des meilleurs médecins et des meilleurs hôpitaux en Europe ? C'est injuste. Tu me reproches de te rappeler les luttes que tu as désertées et tu m'accuses alors d'inventer ces luttes et ces causes. Cela te repose.
En vérité, par ton exil, tu n'as rien tranché. Tu veux vivre des libertés mais les interdire aux autres. Vivre en France ou au Danemark, mais les détester. Manger les récoltes et insulter les racines. Je te rencontre souvent maintenant : aigri, malheureux, agressif, hésitant jusqu'au jugement dernier, inapte au bonheur, paranoïaque presque. C'est cela qui m'a le plus frappé : on vient dans un pays, on veut que sa terre accueille, et on refuse de l'accueillir en soi. Pire encore : tu te plains mais, de retour au pays, c'est à l'aéroport que commence ta grimace moqueuse sur l'état de notre pays. Incapables de faire quelque chose « là-bas » pour rejoindre le monde et incapables de faire quelque chose chez nous pour nous aider. Tu es parti parce que tu n'y crois plus à un salut chez nous et tu restes là-bas en répétant que tu ne crois pas en l'occident. Que veux-tu ?
Violence de ma part ? Non, juste un agacement. Les amateurs de la jérémiade qui en face de moi, sirotent une bière dans le Marais à Paris, consommant l'heure belle à insulter les français, m'agacent. M'incommodent dans le raffinement de leur lâcheté. « Nos plages algériennes sont magnifiques ! » me cria une auditrice à l'institut du monde arabe un jour. « J'y ai nagé il y a trente ans » me précise-t-il sans rire.
Souvent tu m'accuses de « porter atteinte à l'image du pays ». Il ne s'agit alors que de ta nostalgie dégradée en ressentiment. Car ce pays tu l'as quitté. Ce n'est que ton narcissisme qui est blessé par mes écrits ou ceux d'autres, parfois. Car, incapables de construire un partage, tu t'es replié sur ce délire pour en faire un bouclier. Sous une autre forme, tu m'as écrit un jour « critiquez ce pays, mais en arabe, car ainsi les autres ne pourront pas lire ». Une autre fois tu t'es indigné : « que vont penser les Français de nous à partir de ce vous dites ? ». J'en ai conclu que ce pensent les Danois ou les Français est plus important pour toi que l'état de ton pays ou de ton âme. Et c'est moi que tu accuses de néo-colonisation ?
Te revoilà aujourd'hui me reprochant de parler de la burqa, dans mon pays, sous prétexte que c'est un refus d'intégration� en France. Tu confonds alors tes urgences avec les miennes. Tu veux encore que mon silence serve de parade à ton impuissance à défendre tes idées dans un autre pays. Tu n'arrives pas à t'affirmer alors tu m'infirmes. Que c'est injuste ! Tu confonds tes douleurs avec nos catastrophes. Tu nous demandes de nous taire sur notre pays pour ménager tes échecs à toi, ailleurs ! J'avais envie de te dire : luttes pour les libertés dans le pays de ton choix et laisses-nous lutter pour les libertés dans notre pays. Partir est un droit, mais respecter notre réalité à nous est un devoir pour toi.
Je te retrouve souvent. Te voilà un journaliste qui a quitté le pays depuis 25 ans. Cela ne t'empêche jamais de t'hérisser quand on te parle de sortir du post colonial. Tu le vis comme une trahison à ta quotidienneté parisienne, ta rente. On est agréables quand nous gémissons dans le casting de ta pensée mais nous sommes rejetés quand on ne répond pas à ton fantasme victimaire. C'est pourtant le pays où tu peux insulter Macron dans un tweet alors qu'ici, le pays que tu as quitté, tu ne peux même parler d'un wali. Bien sûr c'est ta liberté. Mais respectes la mienne et ne parles pas à ma place sous prétexte d'un droit d'ainesse dans la généalogie des décolonisés. Le gémissement et la pleurnicherie ne sont pas une identité, seulement une lâcheté raffinée.
Et je refuse qu'on m'impose la censure communautaire.
Tu as mille visages et une seule figure
Là, un autre soir, tu étais avec moi dans le taxi. Juste après une conférence. Tu n'étais pas d'accord avec moi mais, parce que tu es un indécis, né dans l'ombre, tu n'as pas pris la parole en public. Comme beaucoup d'entre nous, tu préfères le « off ». Car tu es conscient que ta vision secrète du monde ne correspond pas à ce que tu exposes aux Occidentaux. Alors tu parles avec « Eux » une langue en public, et à moi, au nom de l'intimité indigène, tu uses d'une autre. Tu craches sur le pays où tu es universitaire, tu sublimes la Tunisie que tu as quittée en courant et tu m'accuses d'entretenir le racisme alors que tu as le culte de la race, la tienne. Un comble. Tu m'as expliqué, doctement, avec cette suffisance de gens qui possèdent la Vérité et qui pratiquent la dissimulation confessionnelle, que la France ne te donne pas à toi la parole dans les médias. De quoi pleurer.
Je t'ai ri au nez car s'il y a un pays où on ne vous donne pas le droit à la parole, c'est le pays que tu as quitté, pas celui où tu es. Je t'ai dit « vous attendez qu'on vous coure après pour cueillir votre avis ? Vous croyez que le monde est un conte ? Il n'est ni juste ni injuste le monde : il dépend de vos actes pas de votre fantasme infantile de la justice. Vous croyez qu'on est venu me chercher dans mon village pour me donner le droit d'être chroniqueur en Algérie et d'être libre de parole dans le reste du monde ? C'est une faveur ? ». De quoi rire longtemps de ta vision comique de la Justice. La parole libre cela se conquiert, on ne l'attend pas dans une gare. La France est injuste ? Elle l'est moins que le pays que tu as laissé derrière ton dos. « Vous croyez que c'est pays parfait la France, non il ne l'est pas » tu m'as rétorqué. Risible argument encore une fois « ce pays n'est pas parfait ? Que faites-vous pour y participer au bonheur, le vôtre et celui des autres ? Gémir ? Mentir ? Avez-vous souffert plus que la communauté noire aux États-Unis ? Non. Cette communauté travaille, essaye de sortir de son ghetto et de l'horrible injustice qui lui a été faite, et ne passe pas son temps à cultiver la jérémiade. Aidez le pays qui vous accueil ».
Je me souviens de cet écrivain haïtien rencontré au sud de la France. Après un festival, on a pris la même voiture pour rejoindre l'aéroport de Marseille. Sur la route, l'écrivain m'expliqua que je ne devais pas parler ainsi « même si tu as raison » car les français récupèrent ma parole. J'étais scandalisé : voilà un homme qui se fait inviter par ce pays, accueillir, s'offrir la parole et l'estrade, le sel et le pain, qui leur sert un discours policé insincère, tout en cultivant la rancune en « off ». Insupportable. J'ai du respect pour le révolté franc et ouvert, pas pour cette caste.
Je te rencontre souvent et c'est le même visage : un peu ricanant, souriant jaune, calme mais faussement, jouant le jeu de la « civilisation » mais impossible à convaincre, incapable de rire, d'exploser de joie, profiter d'un autre passeport. Non. Juste une douleur qui est sincère et justifiée mais toujours convertie en aigreur et pas en raison de conquête. Une sorte d'alpinisme de l'Himalaya du refus et du déni. Pourquoi avoir quitté son pays pour en refuser un autre ? Pourquoi ne pas rentrer ? Pourquoi tu votes islamiste en Tunisie, en Algérie, au Maroc, alors que tu vis en Europe et nous imposes ton fantasme de califat identitaire ? Des gens prennent les chaloupes de la mort pour traverser la méditerranée pour jouir de ce que tu as déjà.
C'est à Lausanne, dans le Théâtre de Vidy que j'ai rencontré le visage le plus heureux : un exilé algérien partageur de joies et de rires. Il m'impressionna. Technicien, il est arrivé dans ce pays et il a accueilli ce pays en lui ; il était heureux, fier de sa chance, conscient. Il me parla du bonheur et aussi du malheur de certains des nôtres qui, même vingt ans après leur arrivée, refusent le pays, veulent jouir de son confort mais rejettent sa culture, transportent dans leur têtes les cafés gris, les tristesses en ombrelle et les rancunes inguérissables. Un pied en Europe, un autre ailleurs. Ni vivants, ni morts ni aimant la vie. Je t'ai aimé exilé heureux ! Contrairement à d'autres. Écrivain installé en France et passe son temps à cracher sur le pays qui a publié ses livres et où il scolarise ses enfants et achète ses biens, un journaliste qui ne tolère pas la contradiction quant à sa vocation de décolonisateur imaginaire, un iranien réfugié à Londres mais qui fait la leçon aux résistances à l'islamisme en Algérie...etc.
Ce que je te demande ? Il ne faut pas confondre la bataille pour égorger un mouton dans une baignoire à Paris et notre combat pour ne pas nous faire égorger dans notre pays.
Voilà, je voulais te le dire. Par amitié. Aimes tes racines et profites des récoltes mais ne viens pas nous faire la leçon sur l'islam, la burqa, la liberté, l'identité et l'histoire. Et quand tu reviens chez nous, racontes-nous tes histoires de réussite, pas tes histoires d'échecs. Nous avons suffisamment de champs amers chez nous.
Coupe avec ton inaptitude au bonheur. Dépasse ton exil et arrête de promener tes déceptions pour obtenir des excuses.

In Le Quotidien d'Oran 

jeudi 13 décembre 2018

Pour une béatification de l’Algérie plurielle ! Par Amin Zaoui



Ce pays appelé, avec fierté, l’Algérie, anciennement la Numidie ou Tamazgha, est la patrie pour toutes, de tous.
Ce drapeau ébranlé sur les terrasses des immeubles, dans les cœurs, est le symbolique partagé de toutes, de tous. Ces langues parlées sont les siennes. Cette dernière guerre de libération, exemplaire, juste et courageuse, que les enfants de Jugurtha ont menée, a été le labeur de toutes et de tous, l’édification humaniste collective et historique.
Les martyrs pour la liberté et pour l’indépendance de l’Algérie étaient des musulmans, des chrétiens, des juifs, des communistes et d’autres... Les traîtres de l’Algérie étaient aussi des musulmans (les harkis), des juifs et des chrétiens… La liberté est la religion commune, avant toute autre religion, de toutes et de tous. L’honneur et la dignité sont des valeurs chères pour toutes, pour tous.
Cette grande terre, bénie soit-elle, est  la terre de toutes les religions : nos premiers aïeuls étaient totémistes, étaient des juifs, étaient des chrétiens, étaient des musulmans, étaient… Et sur cette terre jadis, les voix des fidèles récitaient les paroles d’Allah, de Yahvé, de Dieu…  Et cette terre pour qu’elle demeure grande dans sa noblesse  par tous ses enfants, il faut qu’elle recouvre  sa mémoire plurielle. Son clair miroir pluriel.
Nous sommes fiers, nobélisés grâce à toutes ces traces ineffaçables laissées par nos ancêtres sur les rochers durs, sur les sables chauds, dans les langues énigmatiques, dans les contes fabuleux…
Ce pays longtemps fatigué par “l’adoration du UN” a vécu, la semaine dernière, un événement exceptionnel. En fait, à Oran, la béatification des religieux chrétiens nous a réconciliés avec une partie de notre mémoire. La béatification de ces moines martyrs de Tibhirine est une immense  leçon destinée à une génération qui a été, malheureusement élevée dans la haine de l’autre, la haine des autres religions. Cet acte est un message profond  aux imams, qui à chaque prêche du vendredi, lancent des pierres-insultes et des injures diaboliques à l’encontre des chrétiens et des juifs. Un début d’une prise de conscience, peut-être ? 
Le jour où les imams, et derrières eux les fidèles musulmans, n’insulterons pas les juifs et n’injurierons pas les chrétiens, ne condamneront pas  les laïcs, ne rejetterons pas les communistes et ne repousseront pas les athées, ce jour-là ce pays sortira sa tête de la haine et entrera dans le paradis des valeurs humaines de la citoyenneté.   
Et pour la première fois, après le colloque international consacré à saint Augustin, c’était en 2001, du 1er au 7 avril, organisé  par le Haut Conseil islamique et sous le haut patronage du président Abdelaziz Bouteflika, le pays est enfin  en connexion avec le monde qui ne lui ressemble pas.
Nous avons besoin de ceux qui ne nous ressemblent pas, ils sont notre force, ils forment avec nous, nous formons avec eux, ensemble, le rêve pour un monde juste, propre, libre, pluriel et différent.  
Le jour où l’Algérie accueille tous ses enfants sans distinction religieuse aucune, elle se transformera en une grande patrie : la grande Numidie. Oui, l’Algérie de demain, de la génération future, a besoin de ses chrétiens, a besoin de ses juifs, a besoin de ses laïcs… pour faire face à la haine, une maladie moderne et ravageuse.
Le jour où nous avons renié, oublié, falsifié notre histoire nous sommes tombés dans l’obscurantisme religieux et nationaliste.
Notre fertile mémoire, celle faite, entre autres,  par le roi savant Juba II, par Apulée de Madaure (M’daourouch) le prince des romanciers, par saint Augustin le philosophe des religieux et le religieux des philosophes, par le Rabin Ephraïm Al-Naqawa médecin et figure emblématique  pour juifs et musulmans, par Ibn Khaldoun précurseur de la sociologie et démographie  …. Le jour où nous nous sommes séparés de cette mémoire nous sommes tombés dans l’obscurantisme et la maladie de l’autosatisfaction.
La béatification des moines à Oran est le deuxième pas sûr sur un long chemin pour une Algérie plurielle tant rêvée par tous les martyrs : Zabana le musulman, Yveton le juif, Audin le chrétien…
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
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lundi 10 décembre 2018

L’Algérie est un pays des vieux et pour les vieux ! Par Amin Zaoui



Arrêtez, SVP, cette messe des morts : “L’Algérie est pays de la jeunesse” ! Depuis cinquante ans, soixante ans presque, ils n’arrêtent pas de nous matraquer les oreilles par cette expression : “L’Algérie est le pays des jeunes” !!

Arrêtez, SVP, cette messe des morts : “L’Algérie est pays de la jeunesse” !
L’Algérie était un pays de jeunesse. Elle ne l’est plus. “L’Algérie est le pays des jeunes” est une expression vieille comme les vieux qui la portent, qui la chantent ! Ceux qui jadis étaient jeunes !
“L’Algérie est le pays des jeunes”, cette prière politico-religieuse mensongère a trouvé son éternel nid dans les prêches des mosquées, dans le socialisme spécifique, dans la sociologie tiers-mondiste, dans les mauvais romans, dans la poésie en bois froid, dans la chanson sans âme, dans les statistiques fallacieuses…
“L’Algérie est un pays des jeunes” est un mensonge avec mille âmes et mille têtes!
Arrêtez, SVP, cette messe des morts !
Ceux qui depuis l’âge de leur jeunesse explosive n’ont pas cessé d’écouter ce disque rayé écumant cette messe funèbre, sont devenus des grands-pères. Et leurs enfants et leurs petits-enfants, à leur tour, eux aussi, sont en train d’écouter la même messe mortuaire !
Et les belles jeunes femmes, celles qui dans leur jeunesse pleine de rêve ont pour longtemps écouté la prière funèbre “le pays de la jeunesse”, sont toutes, aujourd’hui, devenues grands-mères, et leur vieilles filles sont ménopausées !
Même les écrivains qualifiés par la presse de “pays de la jeunesse” comme “jeunes écrivains” sont devenus des retraités sans dents et sans denrées !!
Ils nous ont piégés avec cette prière des morts : “l’Algérie est le pays de la jeunesse” ! 
Et les mamans, qui étaient, il y a quelques décennies de cela, belles et charmantes, ont enfantés des enfants qui à leur tour sont devenus des pères ! Ces mamans n’attendent “dans le pays de la jeunesse” qu’une seule et dernière chance, z’har, qui peut survenir du tirage au sort annuel d’el hadj. Aller se laver les os à La Mecque !
Dans “le pays de la jeunesse”, tout le monde veut partir à La Mecque. Et La Mecque, pour l’Algérien, est le chemin vers le monde de l’au-delà ! Ceci dit : tout le monde veut mourir. Ou en train de mourir ! À l’heure de mourir !
Et la messe des morts continue tantôt dans les prêches religieux politisés tantôt dans les discours politiques religiosés ! Au “pays de la jeunesse”, il n’y a pas de séparation entre la religion et la politique ! Même marmite !
Ceux qui sont nés avant la révolution sont jeunes !
Ceux qui ont fait avec brio la révolution algérienne, au milieu du siècle dernier, sont jeunes !
Dans un pays où il n’y a pas de rêve, où l’espoir est un cauchemar, ceux qui sont nés les premières années de l’indépendance ne sont plus jeunes !
Ceux qui sont nés le jour du coup d’État de Boumediene ne sont plus jeunes !
Ceux qui sont sortis au Printemps berbère en avril 82 ne sont plus jeunes, même leurs slogans ont vieilli.
Les jeunes qui ont participé aux événements du 5 octobre 88 sont vieux comme des chaussettes trouées !
Mais, où est-il ce pays de la jeunesse ? Personnellement, je ne le vois pas ! SVP, ne me dites pas que la jeunesse est un état d’esprit, dans la tête !
Ce qui éternise cette messe des morts “l’Algérie est un pays de la jeunesse” est l’existence en force du “ministère des Moudjahidine”.
Tant que les moudjahidine sont là, les autres, tous les autres qui sont venus au monde après eux, sont des jeunes ! Tant que le budget du ministère des Moudjahidine, de 2019, est plus important que celui de la culture, la messe “l’Algérie est un pays des jeunes” continue d’exister. Arrêtez, SVP, cette messe des morts : “L’Algérie est un pays des jeunes” !
Nous sommes un pays des vieux. Ce qui reste des jeunes de l’ex-pays des jeunes quittent le pays vers les autres pays pour vivre leur jeunesse perdue.
Nos jeunes meurent par la vieillesse de nos vieux, les vieux “du pays de la jeunesse” ou dans la mer.
Oui, dans “le pays de la jeunesse” le flambeau s’est éteint dans les mains des vieux sans qu’il passe à d’autres mains !


A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr


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samedi 8 décembre 2018

Testament spirituel de Christian de Chergé


En mai 1996, en apprenant la mort des moines, la famille de Christian de Chergé découvre avec émotion le contenu de la lettre envoyée par le prieur deux années plus tôt. Pressentant que ce texte dépasse largement le cadre familial et s’adresse à tous, les proches de Christian de Chergé 
prennent contact avec le quotidien La Croix pour proposer la publication du Testament. Depuis, le texte ne cesse d’être lu et relu par tous ceux qui le découvrent.

Quand un A-DIEU s'envisage...

S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui - d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Qu'ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu'ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d'une telle offrande ? Qu'ils sachent associer cette mort à tant d'autres aussi violentes, laissées dans l'indifférence de l'anonymat.

Ma vie n'a pas plus de prix qu'une autre. Elle n'en a pas moins non plus. En tout cas, elle n'a pas l'innocence de l'enfance. J'ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J'aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m'aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j'aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C'est trop cher payer ce qu'on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit, surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'Islam.

Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l'Islam qu'encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est autre chose, c'est un corps et une âme. Je l'ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église. Précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste : « Qu'il dise maintenant ce qu'il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s'il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l'Islam tels qu'Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion investis par le Don de l'Esprit dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences. 

Cette vie perdue totalement mienne et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l'avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d'hier et d'aujourd'hui, et vous, ô mes amis d'ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "À-DIEU" envisagé de toi. Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.

AMEN ! Inch'Allah ! "


Alger, 1er décembre 1993
Tibhirine, 1er janvier 1994
Christian


Source Les moines de Tibhirine

mercredi 5 décembre 2018

Impurs et lieux saints ! Par Amin Zaoui



Que signifie le mot “impur” (al-nijss) dans le texte et dans l’imaginaire islamique, notamment chez les Uléma de la charia et chez les fidèles religieusement formatés ?
Impur signifie le non-croyant. Impur c’est le chrétien, le juif et le laïc. Impur c’est tout simplement le non-musulman.
De ce fait, l’impur n’a pas le droit de mettre le pied sur le sol de La Mecque ou sur l’esplanade de la Kaaba.
Tout le monde a le droit de visiter les lieux saints du judaïsme. Nous avons vu des rois, des présidents, des chefs et des cheffes de gouvernement, des ministres, des écrivains, des artistes, des sportifs et des simples citoyens, femmes et hommes, toutes confessions confondues, en train de se recueillir devant le mur des lamentations, haut lieu saint pour les juifs. Rien de particulier !
Et pour ne parler que des religions monothéistes, de même nous avons vu, tout le monde, des chrétiens, des musulmans et des juifs, femmes et hommes, sans exception aucune, prier à la basilique de la nativité de Bethléem. Un lieu hautement sacré pour les chrétiens et qui reçoit chaque année autour de trois millions de visiteurs, toutes confessions confondues.
Mais pourquoi est-ce que les musulmans interdisent l’accès aux lieux saints de l’islam, à savoir La Mecque et la Kaaba, aux croyants des autres religions monothéistes ?
Aux yeux des Ulémas de la charia, ils sont impurs, infidèles. Mais ces Ulémas oublient que ce sont ces impurs qui nous vendent les imprimeries sophistiquées pour éditer le Livre d’Allah, sans erreur aucune. Et nous livrent un papier de bonne qualité sur lequel on imprime les paroles inimitables d’Allah ! Et ils sont impurs ces impurs !
Les Ulémas de la charia oublient que l’honneur de la découverte du pétrole qui jaillit sous nos pieds, enfoui dans le sable chaud, revient à ces impurs ! Et que grâce à l’argent de ce pétrole que les Ulémas de la charia et leur troupeau mangent du pain blanc pétri et cuit à Washington, et boivent du lait des vaches hollandaises eux et leurs bébés !
Ils sont interdits de mettre le pied dans les lieux saints islamiques, parce qu’ils sont impurs, mais ce sont eux qui fabriquent les voitures climatisées et sécurisées utilisées pour accompagner les purs musulmans aux lieux saints !
Ils sont impurs, mais ce sont eux qui créent les avions et forment les pilotes qui conduisent les fidèles purs jusqu’aux lieux saints afin d’accomplir en toute quiétude le pèlerinage et al-omra !
Ils sont impurs, ces chrétiens, ces juifs et ces athées, interdits de fouler la terre des lieux saints de l’islam, mais c’est vers eux que se dirigent nos Ulémas de la charia et nos responsables de la première rangée et leurs femmes et leurs enfants dès qu’ils sont malades ! Et dans le pays des impurs, ils seront bien installés, bien pris en charge, bien soignés dans leur hôpitaux, et sur le lit du malade ils prient Allah afin qu’Il les fasse revenir très vite, sains et saufs sur les lieux saints pour insulter ces impurs !
Ils sont impurs, mais ce sont eux qui nous confectionnent nos habits propres et légitimes pour accomplir nos devoirs religieux dans ces lieux saints dont l’accès est interdit pour ces impurs !
Ils sont impurs, mais chez eux où s’exilent les musulmans purs, chassés par d’autres musulmans plus purs, fuyant les fatwas des Ulémas les gardes de la foi musulmane.
Et c’est dans les pays des impurs, pays des mangeurs du porc où ils trouveront paix et sandwich !
Ils sont impurs, ces juifs et ces chrétiens, mais ce sont eux qui nous fabriquent les téléphones smartphones pour, en contrepartie, les insulter sur facebook, twitter instagram et autres moyens créés par eux aussi !
Ils sont impurs, mais ce sont eux qui nous offrent les réseaux sociaux pour que les hommes purs, gardiens des nos lieux saints, tchatchent avec les femmes pures et impures et les femmes pures et impures parlent aux hommes purs et impurs. Ils sont impurs, ces impurs !
Ils sont impurs ces mécréants, mais ce sont eux qui nous fabriquent des usines de dessalement de l’eau de mer, pour que nous nous abreuvions d’eau douce et que nous fassions nos ablutions ! Et ce sont ces impurs qui nous fournissent des papiers toilette de la haute qualité, du savon et des serpillières !
Ils sont impurs ces infidèles et ce sont eux, en toute fidélité, qui gèrent des comptes de chez nous et nos banques bourrées d’argent !
Ils sont impurs, et ce sont eux qui nous vendent les sacrifices de l’Aïd El-Kébir et même les couteaux pour accomplir l’immolation, et ils sont impurs ces impurs !
Ils sont impurs, et ils sont détestés par nos Ulémas de la charia, mais ce sont eux les impurs, éleveurs de cochons, mangeurs de cochon, qui gardent nos frontières, et veillent, par leurs avions, leurs radars et leurs snipers sur notre patrie et sur nos lieux saints dont ils sont interdits de fouler le sol béni !
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lundi 3 décembre 2018

Le nikab et la burka sont une cagoule pour le crime, pas une liberté


Un journal populiste algérien se fait fierté de rapporter ce fait : une étudiante en nikab a été expulsé d’un cours, à l’université d’Oran, faculté des sciences humaines. On y appelle alors à la solidarité avec la victime, aux excuses obligatoires que doit présenter l’enseignant et on proclame son indignation. Etrange époque : voilà que le pays s’effondre sous nos chaussures et certains trouvent que la solidarité urgente est celle que l’on doit exprimer avec une cagoulée. Car c’est cela la réalité : on défend le droit de porter un masque d’horreur, une cagoule, comme un droit confessionnel, presque une identité, une liberté. Allah est devenu un tissu, un gagne-pain pour des courtiers et un refus de l’humanité selon ces malades Si demain, je m’aventure à conduire avec une cagoule en laine noire, à prendre un café avec une cagoule ou à entrer dans une administration avec une cagoule, va-t-on me laisser faire ? Non. Je vais être arrêté au premier barrage policier. Car mon visage est une identité partagée, un lien et un reflet. Porter une cagoule c’est cacher un crime (commis ou en projet) et pas un visage. Pourquoi aujourd’hui va-t-on le défendre ? Idiotie et glissement du pays vers la république talibane. Ceux, celles, qui ont vécu en Afghanistan ou y vivent encore savent que cela a commencé ainsi, pour finir avec le fouet et la lapidation pour les femmes qui refusent ce masque horrible.
Décadence du sens : aujourd’hui on en arrive à défendre ces pathologies comme un droit. Demain on va les payer comme une obligation. C’est la loi du genre. Ce vêtement monstrueux est une négation de l’humain, une maladie, un glissement vers la mort, un uniforme de la fin du monde. Ce n’est pas un droit. Celles qui veulent le porter peuvent aller vivre dans le désert pur si elles le veulent, mais ne doivent pas présenter cet enterrement vestimentaire comme un droit.
La cagoule, qu’on nomme nikab, sert à tout : voler dans les magasins, tricher dans les concours (les profs d’université en savent quelque chose), à cacher des délits, s’offrir l’anonymat du criminel et prétendre aux cieux et au paradis. Il faut l’interdire.
Le visage d’un être humain est son humanité. C’est un lieu de reconnaissance, de rencontre, de lien, de partage. Porter un masque c’est refuser l’humanité mais profiter des routes, facultés, universités, éclairages publics, subventions et efforts du pays.
Cette cagoule n’a pas sa place dans notre pays, ni dans notre histoire.
Et ceux qui aujourd’hui, par peur des soulèvements, par lâcheté devant les agitations et les agitateurs, par soumissions aux radicalismes islamistes, conseillent de ne rien dire aux professeurs, aux employés et aux directeurs, sont juste des lâches. Et ceux qui soutiennent ce nikab sont des idiots. On peut être traître à son pays, ses ancêtres et ses enfants de plusieurs manières. Et l’une d’elle c’est de faire passer cette cagoule pour un droit ou de fermer les yeux sur elle dans les lieux publics.
Alors, à l’époque des lâchetés et des indignités murmurées, rendons hommage à l’enseignant professeur qui a osé expulser cette étudiante qui se trompe d’époque et d’espèce vivante. Osons le soutenir et saluer en lui un homme qui fait barrage à la kaboulisation et à la peur. Et espérons que sa «hiérarchie» ne va pas lui imposer la repentance devant une cagoulée. On peut être lâche, mais on n’a pas le droit de l’imposer aux autres.
In le Quotidien d'Oran du 03/12/2018

dimanche 2 décembre 2018

Détails d’un appel téléphonique entre Nouria Benghabrit et Cheikh Ben Badis !


Par Amin Zaoui

Cheikh Ben Badis : Allô…! Bien que l’appel téléphonique soit brouillé, Nouria Benghabrit, a l’ouïe ! -Benghabrit : Sbah l’khir, je vous écoute, qui est à l’appareil ? -Ben Badis : je suis Abdelhamid Ben Badis Assanhadji, fondateur et président de l’Association des ulémas musulmans algériens (l’authentique) ! -Benghabrit : Marhba, je suis la petite-fille de Si Kaddour Benghabrit. -Ben Badis : Allah Yrahmou, Si Kaddour votre grand père fut une personnalité savante et généreuse. Fondateur de l’Institut musulman de la Grande mosquée de Paris. -Benghabrit : vous aussi ya Cheikh, vous êtes une sommité de l’Histoire de la pédagogie nationale. -Ben Badis : Choukrane, ma fille. -Benghabrit : expliquez-moi comment êtes-vous arrivés à convaincre les autochtones musulmans algériens à apprendre la langue française dans une période confondue? -Ben Badis : je les ai convaincus que c’est une langue d’ouverture et de modernité. J’ai lu quelques traductions de la belle littérature française. D’ailleurs, l’écrivain Rédha Houhou, membre de notre Association des ulémas musulmans algériens, a traduit Les Misérables de Victor Hugo… -Benghabrit : et quelle était la réaction des musulmans indigènes, vis-à-vis de la langue du colonisateur ? -Ben Badis : ma vision n’avait rien de contradiction avec la société algérienne musulmane, bien au contraire cette dernière considère que l’enseignement du français est un autre chemin vers le dialogue, vers la compréhension de l’autre. Le français est une arme contre la colonisation elle-même. -Benghabrit : si vous, vous avez osé recommander l’apprentissage de cette langue aux enfants musulmans, dans une période coloniale, moi, Nouria Benghabrit ministre de l’Éducation nationale, dans l’Algérie indépendante avec deux langues nationales et officielles l’arabe et tamazight, je n’arrive pas à le faire et pourtant c’est la langue de notre belle littérature nationale celle de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Nabil Fares, Kaddour M’hamsadji, Boualem Sansal, Tahar Djaout, Rachid Mimouni.. -Ben Badis : Le courant islamo-baathiste fait barrage à l’enseignement du français et à l’enseignement de tamazight, langue de ma tribu Sanhadja.  -Benghabrit : l’enseignement de ces deux langues, aujourd’hui, dans une Algérie indépendante, est vu par “l’Association des ulémas musulmans” d’aujourd’hui d’un mauvais œil !! -Ben Badis : Le feu engendre de la cendre ! Un silence! -Benghabrit : Allô… Cheikh, vous êtes toujours là ? -Ben Badis : Oui, petite-fille de Si Kaddour, je vous écoute, un tampon de tristesse s’est glissé dans sa voix. -Benghabrit : Et quelle fut la place de l’enseignement des arts (musique, théâtre et peinture) dans les instituts de “l’Association des ulémas musulmans algériens” (l’authentique)? -Ben Badis : Je suis le fondateur de Mouloudia de Constantine. J’encourageais nos élèves à apprendre la musique, le théâtre et le sport. -Benghabrit : et quelle était la réaction des salafistes wahhabites de votre époque? -Ben Badis : il n’y a pas de contradiction entre le savoir et le plaisir, bien au contraire, l’écrivain Rédha Houhou veillait sur les troupes musicales et théâtrales de notre Association des ulémas (édition originale). -Benghabrit : aujourd’hui, dans une Algérie qui a récupéré son indépendance, ses langues, par peur d’être classés dans le camp des hérétiques, nos pédagogues n’arrivent pas à défendre le droit à l’enseignement de la musique, du théâtre ou de l’art plastique. Aux yeux des salfistes, y compris un bon nombre des “ulémas”, apprendre le beau à nos enfants est un acte antireligieux. -Ben Badis : ces pseudo-ulémas ne font pas la différence entre la patrie et la religion.
À mon époque, je n’avais aucun souci religieux en appelant à respecter la laïcité, qui seule, en tant que mode de gestion sociétal, respecte la place de l’islam. Ne pas souiller la religion par la politique. Ne pas faire de l’islam un fonds de commerce politique. -Benghabrit : Aujourd’hui, ya cheikh, dans une Algérie républicaine, un demi-siècle d’indépendante, on n’arrive pas à respecter la laïcité. Quand la religion est politisée, quand l’État est islamisé, les valeurs républicaines sont violées. Silence. -Ben Badis : toute société qui ne respecte pas la raison, le travail, l’art et la femme est une société en voie d’extinction. -Benghabrit : la femme, vous dites ? -Ben Badis : mon épouse ne portait ni le voile, ni le hidjab, ni le niqab. Elle s’habillait à l’européenne.
Les filles de nos écoles se vêtaient en moderne. On compte parmi elles la respectée écrivaine Z’hor Ounissi. -Benghabrit : Aujourd’hui, ya Cheikh, nos écoles et nos universités, par hypocrisie sociale et religieuse, sont devenus une estrade pour toutes les marques de voiles, de hidjabs et de niqabs turcs, iraniens, saoudiens, égyptiens, afghans… Ben Badis… Vous avez banni l’islam au parfum algérien en le remplaçant par un autre aux odeurs du wahhabisme et du Daech. Soudain la communication est interrompue.
Seule dans son bureau, Mme Nouria Benghabrit, se demande : quand je me trouve devant le directeur d’un établissement pédagogique qui refuse de toucher ma main, je me sens triste et en colère. Que dirait-il cheikh Ben Badis s’il avait vu cette scène moyenâgeuse ! Nous sommes en train de nous offrir en proie à la gueule de Daech.

A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr

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