dimanche 2 décembre 2018

Détails d’un appel téléphonique entre Nouria Benghabrit et Cheikh Ben Badis !


Par Amin Zaoui

Cheikh Ben Badis : Allô…! Bien que l’appel téléphonique soit brouillé, Nouria Benghabrit, a l’ouïe ! -Benghabrit : Sbah l’khir, je vous écoute, qui est à l’appareil ? -Ben Badis : je suis Abdelhamid Ben Badis Assanhadji, fondateur et président de l’Association des ulémas musulmans algériens (l’authentique) ! -Benghabrit : Marhba, je suis la petite-fille de Si Kaddour Benghabrit. -Ben Badis : Allah Yrahmou, Si Kaddour votre grand père fut une personnalité savante et généreuse. Fondateur de l’Institut musulman de la Grande mosquée de Paris. -Benghabrit : vous aussi ya Cheikh, vous êtes une sommité de l’Histoire de la pédagogie nationale. -Ben Badis : Choukrane, ma fille. -Benghabrit : expliquez-moi comment êtes-vous arrivés à convaincre les autochtones musulmans algériens à apprendre la langue française dans une période confondue? -Ben Badis : je les ai convaincus que c’est une langue d’ouverture et de modernité. J’ai lu quelques traductions de la belle littérature française. D’ailleurs, l’écrivain Rédha Houhou, membre de notre Association des ulémas musulmans algériens, a traduit Les Misérables de Victor Hugo… -Benghabrit : et quelle était la réaction des musulmans indigènes, vis-à-vis de la langue du colonisateur ? -Ben Badis : ma vision n’avait rien de contradiction avec la société algérienne musulmane, bien au contraire cette dernière considère que l’enseignement du français est un autre chemin vers le dialogue, vers la compréhension de l’autre. Le français est une arme contre la colonisation elle-même. -Benghabrit : si vous, vous avez osé recommander l’apprentissage de cette langue aux enfants musulmans, dans une période coloniale, moi, Nouria Benghabrit ministre de l’Éducation nationale, dans l’Algérie indépendante avec deux langues nationales et officielles l’arabe et tamazight, je n’arrive pas à le faire et pourtant c’est la langue de notre belle littérature nationale celle de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Nabil Fares, Kaddour M’hamsadji, Boualem Sansal, Tahar Djaout, Rachid Mimouni.. -Ben Badis : Le courant islamo-baathiste fait barrage à l’enseignement du français et à l’enseignement de tamazight, langue de ma tribu Sanhadja.  -Benghabrit : l’enseignement de ces deux langues, aujourd’hui, dans une Algérie indépendante, est vu par “l’Association des ulémas musulmans” d’aujourd’hui d’un mauvais œil !! -Ben Badis : Le feu engendre de la cendre ! Un silence! -Benghabrit : Allô… Cheikh, vous êtes toujours là ? -Ben Badis : Oui, petite-fille de Si Kaddour, je vous écoute, un tampon de tristesse s’est glissé dans sa voix. -Benghabrit : Et quelle fut la place de l’enseignement des arts (musique, théâtre et peinture) dans les instituts de “l’Association des ulémas musulmans algériens” (l’authentique)? -Ben Badis : Je suis le fondateur de Mouloudia de Constantine. J’encourageais nos élèves à apprendre la musique, le théâtre et le sport. -Benghabrit : et quelle était la réaction des salafistes wahhabites de votre époque? -Ben Badis : il n’y a pas de contradiction entre le savoir et le plaisir, bien au contraire, l’écrivain Rédha Houhou veillait sur les troupes musicales et théâtrales de notre Association des ulémas (édition originale). -Benghabrit : aujourd’hui, dans une Algérie qui a récupéré son indépendance, ses langues, par peur d’être classés dans le camp des hérétiques, nos pédagogues n’arrivent pas à défendre le droit à l’enseignement de la musique, du théâtre ou de l’art plastique. Aux yeux des salfistes, y compris un bon nombre des “ulémas”, apprendre le beau à nos enfants est un acte antireligieux. -Ben Badis : ces pseudo-ulémas ne font pas la différence entre la patrie et la religion.
À mon époque, je n’avais aucun souci religieux en appelant à respecter la laïcité, qui seule, en tant que mode de gestion sociétal, respecte la place de l’islam. Ne pas souiller la religion par la politique. Ne pas faire de l’islam un fonds de commerce politique. -Benghabrit : Aujourd’hui, ya cheikh, dans une Algérie républicaine, un demi-siècle d’indépendante, on n’arrive pas à respecter la laïcité. Quand la religion est politisée, quand l’État est islamisé, les valeurs républicaines sont violées. Silence. -Ben Badis : toute société qui ne respecte pas la raison, le travail, l’art et la femme est une société en voie d’extinction. -Benghabrit : la femme, vous dites ? -Ben Badis : mon épouse ne portait ni le voile, ni le hidjab, ni le niqab. Elle s’habillait à l’européenne.
Les filles de nos écoles se vêtaient en moderne. On compte parmi elles la respectée écrivaine Z’hor Ounissi. -Benghabrit : Aujourd’hui, ya Cheikh, nos écoles et nos universités, par hypocrisie sociale et religieuse, sont devenus une estrade pour toutes les marques de voiles, de hidjabs et de niqabs turcs, iraniens, saoudiens, égyptiens, afghans… Ben Badis… Vous avez banni l’islam au parfum algérien en le remplaçant par un autre aux odeurs du wahhabisme et du Daech. Soudain la communication est interrompue.
Seule dans son bureau, Mme Nouria Benghabrit, se demande : quand je me trouve devant le directeur d’un établissement pédagogique qui refuse de toucher ma main, je me sens triste et en colère. Que dirait-il cheikh Ben Badis s’il avait vu cette scène moyenâgeuse ! Nous sommes en train de nous offrir en proie à la gueule de Daech.

A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr

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