lundi 8 juin 2020

LES TÉLÉGRAPHISTES DU PRINCE PAR SAID SADI


Une information a été diversement commentée ces deux dernières semaines. Il s’agit de l’annonce de la libération imminente de deux détenus politiques, voire plus, susurrent ces « sources bien informées ». En attendant d’en connaître les dessous politiques, car il y en a nécessairement, cette nouvelle mérite d’être analysée posément dans la mesure où elle renseigne sur les intentions prochaines du pouvoir tout en confirmant un certain état d’esprit qui sévit toujours dans une partie de l’opinion publique.
Commençons par le fait que des satellites du régime s’autorisent à révéler, avant que la justice ait statué, l’élargissement des citoyens privés de liberté pour avoir émis une opinion jugée non conforme à la doxa officielle dans leur pays. On n’évoquera pas ici le contenu de ces opinions qui appartiennent à leurs auteurs pour rester sur le strict registre procédural.
La fin d’une détention arbitraire est présentée comme un signe d’apaisement sinon un acte de générosité, ce qui suggère que ces détenus ont mérité leur emprisonnement. Cette structure mentale dévoile une méthode de gouvernance qui en dit long sur la conception de la citoyenneté que se font les détenteurs du pouvoir.
Pour bien illustrer la permanence de la mécanique infernale qui transforme le bourreau en bienfaiteur en Algérie, il n’est peut être pas inutile de rapporter cette anecdote. Nous sommes le 7 avril 1987. Arrêtés lors de la création de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme en 1985, nous avions été répartis sur plusieurs établissements carcéraux du pays. Personnellement, je venais d’être transféré du pénitencier de Lambèse à la maison centrale d’El Harrach. Je faisais partie du groupe des membres fondateurs condamnés à trois ans de prison. Ce jour là, un gardien vint me dire que j’étais attendu dans le bloc administratif. Une fois sur place, je me trouvai devant le directeur, un homme originaire de Larbâa Ait Douala qui ne dira pas un mot pendant les dix minutes de l’entretien. Il était flanqué d’un malabar soigneusement habillé et qui se présenta comme un fonctionnaire des services de sécurité ; en fait un officier de la sécurité militaire. Après un laïus destiné à tester le moral de la proie, l’homme m’annonça que le président Chadli avait décidé de me « faire cadeau de 14 mois de liberté ». Je venais de passer 22 mois en détention. Voici ma réponse : « C’est une manière de voir les choses. En tant que citoyen détenu injustement, je pense qu’il m’a plutôt privé de 22 mois de liberté ».
On notera que ce n’était pas un agent du ministère de la justice qui était venu me signifier ma libération mais un membre de la police politique. Est-il déraisonnable de penser qu’il en est toujours de même aujourd’hui ?
Ce rappel est destiné à témoigner du fait que la justice perverse, celle qui légitime la violence et le crime, est une vieille affaire en Algérie. Pour les potentats du système militaro-policier et leur cour, la vie du citoyen dépend de la magnanimité du prince. Les ambassadeurs qui relaient cet arbitraire n’ont d’ailleurs pas forcément conscience qu’en jouant les télégraphistes des despotes, ils cultivent et perpétuent la pratique de l’abus. Pour le courtisan, l’Algérien détenu illégalement n’a droit ni à des excuses ni à des réparations dès lors qu’il a osé défier l’autorité toute puissante. Ne dit-on pas dans le langage populaire Ddewla am Ṛebbi, le pouvoir est tel une divinité.
Passe encore que des responsables politiques ayant macéré leur vie durant dans le monde étouffé et étouffant de la décision occulte se persuadent qu’ils ont le droit et même le devoir de violer les lois qu’ils ont faites pour domestiquer un « peuple immature ». Ce qui est préoccupant pour l’avenir immédiat du pays, c’est de voir une partie de l’opinion accepter de loger dans les rangs de l’opposition des acteurs qui assurent le service après vente d’archaïsmes politiques dignes du moyen âge. Il faut bien se rendre à l’évidence : la mentalité féodale prospère au delà des sphères du régime.
Abordons maintenant brièvement l’aspect formel de cette décision. Un chef d’Etat dispose du droit de grâce qu’il peut exercer une fois la condamnation prononcée. Il ne peut en aucune manière interférer dans une action de justice en cours, ce qui est le cas en l’occurrence. Jusqu’à présent, le Syndicat national de la magistrature n’a pas émis la moindre protestation contre cette pantalonnade. L’institution judiciaire n’avait pas besoin d’une démonstration aussi grotesque pour mériter son surnom de scribe d’ordres téléphonés.
Cette affaire nous amène à un autre constat, encore plus problématique et sur lequel il ne faudra pas se lasser d’insister. Ces dernières semaines, les mentors qataris dont les disciples tunisiens viennent de provoquer une crise parlementaire* dans leur pays, redoublent de férocité sur la scène algérienne. Ils mobilisent argent et logistique médiatique pour réduire et stériliser le débat national. En diabolisant les éléments fondateurs de tout projet démocratique comme l’indépendance de la justice, l’égalité des sexes, le respect des minorités, la liberté de culte… ils minent une révolution déjà mise à mal par la pandémie du covid 19.
C’est parce que ces fondamentaux ont été reniés par la trahison des principes de la Soummam commise au Caire en 1957 au nom de la nécessité de se liguer contre le colonialisme, que nous en sommes à expliquer en 2020 que les Drareni, Tabou, Belarbi et tant d’autres n’ont rien à faire en prison. L’Histoire a vérifié sous tous les cieux une équation intangible : appétits carriéristes + courte vue = hypothèque de la démocratie.
Plus que jamais l’esprit de la Soummam qui a assumé l’universalité est à l’ordre du jour. Ceux qui y souscrivent œuvrent à la perspective démocratique ; ceux qui l’esquivent, l’occultent, s’y opposent ou pire le polluent travaillent objectivement au maintien du statu quo militaire ou à l’avènement de son duplicata théocratique. L’alternative est en effet aussi simple que cela : c’est la Soummam ou la dictature, militaire ou théocratique. Tout le reste est mercantilisme opportuniste.
* Le président de l’assemblée nationale tunisienne, l’islamiste Rached Ghannouci, affidé de l’axe Doha-Ankara - qui pilote et finance aussi le segment des frères musulmans algériens - s’est engagé en faveur des relais de ses tuteurs en Libye à savoir le gouvernement de Fayez Al Saraj. Cette implication est contraire à la position de l’Etat tunisien qui tient à garder une relative neutralité dans le conflit qui déchire son voisin de l’est. L’inféodation de Ghannouchi a soulevé une bronca parmi les députés, ce qui l’a mis à mal y compris avec les alliés qui l’avaient aidé à constituer une majorité parlementaire.
NB : Il m’arrive de lire ici des messages récurrents inspirés par plus ou moins de bonne foi me demandant de fournir des solutions immédiatement applicables. Le vrai militant sait que chaque mot permettant de mieux comprendre les enjeux ou aidant à construire un combat est une clé qui ouvre les portes de la solution citoyenne.

Le 07 juin 2020
Saïd Sadi

vendredi 29 mai 2020

Merci ! Par Mohamed Benchicou


Ainsi le pouvoir algérien compte-t-il être de son époque : par la censure, l'emprisonnement, la terreur, l'interdiction de toute création qui n'aurait pas son aval. Depuis un an, il organise la stratégie du vide. Une stratégie sans génie, brute, violente. Des dizaines de jeunes incarcérés pour avoir écrit quelques lignes sur Facebook. Frapper fort pour dissuader, pour tétaniser, pour rendre l’échec de gouvernance illisible.

M. Tebboune, ces gosses condamnés à l'enfermement par une justice veule et honteuse, ne plieront pas. Pour avoir été incarcéré par votre prédécesseur durant deux ans, je peux vous affirmer que la prison, quand elle est au service de l'injustice, quand elle est prononcée par des juges sans honneur, ne fait jamais abdiquer.
L'homme ou la femme injustement détenu vit au milieu de ses plaies, dialoguant avec ses contusions, conscient d’avoir dépassé la douleur commune, impersonnelle, de l’avoir réduite à ce qu’elle n’est pas censée être, une compagne pour la vie, l’unique identité par laquelle se reconnaît le fils martyrisé d’un peuple nié, progéniture de gens sans importance, relégués dans l’arrière-cour de l’existence…Le détenu embastillé dans le seul but de donner l'exemple, le journaliste, le militant du hirak ou le patriote qu'on enferme, font siens les mots de Mandela : "Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j'apprends", prenant soin de ses blessures, évitant qu’elles ne cicatrisent parce que ces blessures-là ne lui appartiennent plus, de ces blessures souffrent tant de créatures, elles sont les dernières preuves du calvaire des hommes, leur mémoire et leur prochain salut, ces blessures resteront à jamais ouvertes, il ne doit plus jamais oublier, rien oublier sous peine de mourir dans le vide de sa banalité ou, pire, vivre dans l’amnésie de sa propre souffrance.
Aussi, la polémique qui entoure le documentaire de Kessous diffusé sur France 5, ne doit-elle pas nous faire oublier que le film "Algérie mon amour" est avant tout un terrible réquisitoire contre un pouvoir qui a cru po.uvoir mettre à profit la pause coronavirus pour reprendre la main face au hirak.
Pendant que les Algériens étaient confinés, les dirigeants ne pensaient qu'à regagner l’autorité malmenée par la rue. Les arrestations massives de citoyens actifs dans la révolte avaient pour finalité de d'empêcher le mouvement populaire de se doter de cadres qualifiés.
Le régime algérien pensait avoir réussi à berner les Algériens et l'opinion internationale par ses fadaises, ses accusations à l'emporte-pièce, les indignations enfiévrées de ses laudateurs professionnels. Le film de Kessous, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, a le mérite de sonner la fin d'une fourberie qui n’a que trop duré.
Ces jeunes gens qui ont parlé de leur pays avec amour étaient saisissants de courage et de sincérité. Ils étaient l’Algérie.
Merci.
M.B