jeudi 3 janvier 2019

L’Islam footballesque ! Par Amin Zaoui


Sur les murs de beaucoup de facebookistes, tous niveaux intellectuels confondus, universitaires, journalistes, politiciens,  écrivains,  artistes, citoyens inconnus,  les  photos des stars de foot en situation de prosternation sur la pelouse des stades, sont placardées ! Accompagnées de commentaires aussi xénophobes que haineux. Dr Assia Moussei, médecin et éditrice, choquée par les propos  de son neveu d’à peine quatre ans à propos de ses joueurs vénérés, a rapporté sur son mur de Facebook un dialogue, en guise d’échange entre elle et ce petit garçon,  dont le contenu est fort symbolique. Il reflète un périlleux imaginaire en gestation. Avec un enchantement inachevé, dans un langage entre diable et ange, le neveu témoigne qu’il est fan fou de Ronaldo. Mais, avec une profonde tristesse, l’enfant, et sur un ton de désolation, complète son émerveillement incomplet par cette expression : mais dommage   que Ronaldo ne soit pas musulman. Puis sur un ton un peu ressuscité, le bambin rajoute, comme pour ne pas tromper son amour : mais … Ronaldo ne tardera pas à embrasser l’Islam. Il le fera, tôt ou tard ! Et dès qu’il a commencé à parler  de sa deuxième star encensée, le joueur germano-turc Özil, comme sur un nuage, une lumière de fierté s’est dégagée de ses yeux : Ah Özil, celui-ci est musulman ! Consolation ! Dans l’imaginaire de ce petit gamin, proie de la culture des barrières et des rejets, le monde est divisé en deux blocs inconciliables : d’un côté se positionne le bloc des musulmans et de l’autre le bloc des non-musulmans. Et ceci dit : le bloc des bons n’est que celui des musulmans. L’autre bloc est réservé aux méchants,  les non-musulmans. Cet imaginaire renforce la haine, alimente les violences et enracine chez la nouvelle génération l’envie de partir dans des guerres atroces, dites guerre du djihad, guerre sainte. Notre génération imaginait le monde autrement : nous adorions le leader palestinien Georges Habache, lui qui était chrétien et nous refusions Anouar Sadate, surnommé par les médias  égyptiens : le pieux président   (raïs el mouemine). Notre génération acceptait les idées de Georges Hawi, qui fut chrétien et communiste, et respectait en même temps les orientations idéologiques de Abdelfattah Ismaïl, le musulman yéménite. A une époque éclairée, quelques intellectuels égyptiens, en respect aux recherches scientifiques réalisés par Georgi Zidane sur l’histoire de la civilisation musulmane, ont introduit une requête auprès de la direction d’El Azhar demandant d’intégrer ce chercheur  chrétien dans le corps des enseignants azhariens. Sollicitation refusée par le président d’El Azhar. Notre génération honorait l’écrivain marocain Edmond Amran El Maleh, lui qui fut juif, et de l’autre côté estimait les écrits du penseur et linguiste libanais cheikh Sobhi Assalah.
Nous célébrions l’âme, le courage et le sacrifice du  chahid Ahmed Zabana et sur un pied d’égalité nous commémorions l’autre chahid Fernand Iveton, deux condamnés à mort, deux guillotinés par l’armée coloniale. Un musulman et un juif. Notre génération lisait  sans discrimination aucune les écrits de Taha Hussein, Victor Hugo, Georgi Zidane, Balzac, Khalil Gibran, Neruda, Nizar Kabbani, Abdel Wahab el Beyati, Baudelaire, Elias Hawi, Jean Amrouche et d’autres… et nous aimions leurs livres sans se demander sur l’appartenance d’un auteur à telle ou telle  religion ou sous-religion (sunna, chiaa, druz, etc.) Nous écoutions les chansons de Leïla Mourad, cheikha Remiti, Reinette l’Oranaise, Faïrouz, Oum Kalthoum, Fadila Dziriya  et d’autres sans demander leur appartenance religieuse, leur pays, leur race (je n’aime pas ce mot) ou la couleur de leurs yeux. Le monde à nos yeux était partagé entre d’un côté ceux qui  prenaient la défense de la liberté et des opprimés de la terre, et de l’autre ceux qui protégeaient les avantages des colonisateurs et des dictateurs. Aux yeux de notre génération, le monde était partagé entre celui qui est aux côtés des pauvres et celui qui se rangeait du côté des riches. El la religion, pour nous, détenait  une place individuelle et spirituelle, qu’importe la religion. Le monde était vaste et la religion n’était pas footballesque !

Amin Zaoui 
 Liberté du 30/10/2014

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