vendredi 11 janvier 2019

Cultiver le doute est moins fatigant que de cultiver les champs


Cultiver le doute est moins fatigant que de cultiver les champs 

Lu sur un journal néo-Fis, le commentaire d’un lecteur à propos des vœux de l’ambassadeur des Etats-Unis et de son épouse, pour Yennayer : « je les ai vus au stade du 05 juillet. Je me suis dit il y a quelque chose qui se prépare. Et effectivement, ils ont annoncé El Qods capitale de l’entité sioniste». Cela fait rire. Mais pas seulement. La séquence est le schéma exact de la pensée magique du monde dit «arabe», bien qu’il n’ait pas le monopole du soupçon radical.

La théorie du complot frappe, aujourd’hui, en effet, une partie du globe mais surtout les géographies de l’échec et de l’impuissance comme la nôtre. Cette pensée par la théorie du doute grimaçant fait des ravages chez nous, dans nos têtes, nos médias et chez nos élites. Ici, dans cet exemple, elle pousse au rire tant le raccourci est comique entre un ambassadeur qui présente ses vœux (les Anglo-saxons cultivent cette tradition en général) et la décision de Trump. Mais on y retrouve l’essentiel de cet esprit qui nous tue et tue la rationalité et le réel chez nous. Un : l’irrationalisme. Quel lien peut avoir un match de foot, un ambassadeur occidental et la décision de Trump ? Aucun, sauf dans l’esprit d’un halluciné. Et pourtant cette logique se retrouve presque partout, parfois défendue avec violences et agressions : de la certitude que la terre est plate (défendue dans une thèse universitaire à Tunis), à celle d’une brebis qui guérit du Cancer, à Relizane. Deux : se prendre pour le centre du monde. Il est signifié, ici, que Trump a mis au point une stratégie fabuleuse qui consiste à faire croire à son amitié, lors d’un match de foot, dans une ville banale comme Alger, pour prendre une décision explosive pendant qu’on regarde un pénalty. Il faut vraiment se prendre pour le nombril du monde pour le croire et pourtant des millions de chez nous le croient, croient qu’on en veut à leur religion, à leur bout de Sahara et à leurs chaussures qui n’ont jamais marché sur la Lune. Les musulmans sont, généralement, narcissiques et leurs radicaux se prennent pour le nombril du monde et les propriétaires de Dieu. Trois : la croyance que l’Occident est fourbe mais qu’il est le seul à l’être. C’est-à-dire que la main étrangère est juive, américaine, occidentale, mais jamais russe en Syrie, chinoise ou d’Arabie Saoudite. D’ailleurs si vous publiez un livre, en France, vous êtes Harki, mais quand des prêcheurs algériens sont formés, logés, habillés puis bénis, en Arabie Saoudite, puis envoyés en Algérie pour détruire l’âme de ce pays, ses calendriers et ses croyances, on appelle cela «prêcher», pas déstabiliser. Quatre : l’attentat aux distances : l’esprit du théoricien du complot à un problème avec les priorités. Il peut passer des années à s’expliquer la puissance de son adversaire et pas une seule seconde, il ne pensera à sa propre faiblesse évidente, sa colonisabilité, sa paresse. Quatre : la hiérarchie des urgences. Dans le cas du théoricien du complot, La Palestine, l’Affect, les croisades, l’Islam sont le centre du monde, tout le monde y pense sans cesse, complote contre, mais le théoricien de la grimace ne pensera jamais à améliorer son environnement, à des livres, à l’écologie, à balayer son palier d’immeuble ou à respecter le code de la route. Cinq l’Histoire. L’histoire du complotiste est pendue par les pieds. Inversée. Il croit que son sort est le crime d’un adversaire, pas sa responsabilité à lui. El Qods a été volé pendant un match, pas à cause d’une longue histoire d’halluciné, mais à cause d’une ruse de comploteurs. Le complotiste est généralement raciste, faible, assis, irrationnel, malade, incapable, comique au mieux et, au pire radical. Mais ces vices ils ne les voient jamais en lui.


Cet esprit frappe ici, dans cet exemple, un simple commentateur dans un journal islamiste, né du croisement de la génération Benbouzid et de la Réconciliation par le haut, mais il résume bien une époque. Il touche l’homme quotidien, les élites bien qu’elles s’en cachent par des fourberies, le rapport de ce monde dit «arabe» avec le reste du monde, la capacité d’analyser le réel et les causes de nos échecs et les conversations de tous les jours. C’est un cycle délirant fermé. Tout est de la faute des juifs, de la CIA, Mossad, Croisade, l’Occident et rien n’est de notre faute. Cela se décline sous la forme du victimaire au nom du colonial, du prêche antisémite religieux, la théorie des races et des cycles, le fatalisme. On cultive les doutes, pas les champs ou les récoltes, on soupçonne, on erre, on grimace et on geint. Et que se passe-t-il quand vous attirez l’attention d’un complotiste «arabe» sur sa misère immédiate ? Il cherchera en vous le harkis, le juif, l’espion, l’occidental. Jamais il ne cherchera, en lui-même, les raisons de ses échecs. Le Monde est jaloux de lui et de sa Vérité infantile. C’est sa croyance aux yeux plissées.
Jérémie est le second prophète de la religion des assis. L’imam caché de nos plaintes. .».  


Kamel Daoud

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