Kiosque arabe par Ahmed Halli
La tentative de lynchage filmée à Ouargla, qu'elle soit réelle ou fabriquée, et diffusée sur les réseaux sociaux, illustre une fois de plus les progrès effarants de la superstition dans nos sociétés. Selon l'intitulé de la vidéo et les commentaires l'accompagnant, de braves citoyens de Ouargla ont débusqué et quasiment condamné une sorcière du genre qui «souffle dans les nœuds». Il s'agit de magie noire en l'occurrence, une pratique qui est l'apanage des femmes comme nous le savons, puisque les hommes s'adonnent à la «magie blanche» dûment autorisée. Entrent dans cette catégorie, religieusement et politiquement correcte, la «roqia», ou thérapie prophétique, et l'exorcisme consistant à faire sortir un «djinn» du corps dont il a pris possession. Bien sûr, tout le monde sait que les démons raffolent des corps féminins, leur lieu de retraite favori, et qu'il faut beaucoup de force, masculine évidemment, pour chasser ces indus occupants. Quant à la magie noire, du genre à rouler du couscous avec les mains d'un défunt récemment enterré, on le concède généralement et généreusement aux femmes à titre de réparation. A condition qu'elles ne se fassent pas attraper, bien entendu, et qu'elles fassent leurs petites affaires sans trop se faire remarquer, au bénéfice de «client(e)s», en vue et en habits de piété. Sur ce film muet, on voit une dizaine d'hommes, jeunes en majorité, qui molestent une femme, lui arrachent son sac et en vident le contenu, espérant peut-être y trouver le corps du délit. Cette scène n'est pas sans rappeler certaines scènes de viol, rapportées par les médias, lors des journées de manifestations populaires ayant précédé la chute du Président Moubarak en Égypte. Certes, Ouargla ce n'est pas Salem, mais les ingrédients se mettent en place, et il suffit d'un désir inassouvi, d'un regard dégoulinant sur une proie potentielle, pour lancer la chasse à courre. Sans aller jusqu'à invoquer le «Syndrome de Cologne», l'attitude des justiciers en herbe (ou fumeurs d'herbes ?) et leur promptitude à s'attaquer à une femme isolée ravivent les inquiétudes. On remarque aussi, et c'est sans doute courant dans nos quartiers, l'absence des femmes parmi les apprentis lyncheurs, si tant est qu'elles aient eu le choix de la discrétion et de l'ombre. En forçant le trait, on serait presque tenté de plaider pour la parité homme-femme, y compris en matière de lynchage, comme lors de la lapidation avortée de Marie-Madeleine. On ne sait pas encore comment a fini l'incident de la «sorcière» à Ouargla, mais on peut y voir un nouvel avertissement à la gent féminine, «libérée par l'Islam, mais menottée par les théologiens».
Je cite ici librement et de mémoire le titre de l'un des textes les plus significatifs de Djamal Al-Bana (1920-2013), le frère cadet de Hassan Al-Bana, fondateur du mouvement des Frères musulmans. Sollicité par son aîné avec insistance pour rejoindre le mouvement et y «cueillir les fruits délicieux de ses jardins», Djamal Al-Bana a préféré désobéir à son frère et a opté pour un Islam des lumières. Contrairement au beau-fils de Hassan Al-Bana, Saïd Ramadan, héritier spirituel du chef des Frères musulmans et père de Tarik, chargé de mission du mouvement en Europe. Hilmi Al-Nemnem, un chroniqueur du quotidien cairote Al-Misri Alyoum, évoque l'étonnement suscité en France et dans d'autres pays européens par la mise en examen de Tarik Ramadan. Il souligne que les faits reprochés au militant islamiste ne suscitent aucun étonnement en Égypte, puisqu'ils s'inscrivent dans la tradition du mouvement, fondé et dirigé par son grand-père. Depuis sa création, dit-il, l'itinéraire de la confrérie est jonché d'incidents et d'exemples de ce genre, comme l'atteste l'histoire connue de son secrétaire, Abdelhakim Abidine. De nombreux militants s'étaient plaints à Hassan Al-Bana du harcèlement sexuel que subissaient leurs femmes et de leurs filles de la part de monsieur le secrétaire.
Non content de chasser sur ses propres terres et dans l'entourage des militants du mouvement, Abdelhakim Abidine ne se contentait pas de faire des propositions indécentes et il passait souvent à l'action. Une enquête interne au mouvement a non seulement confirmé les accusations concernant les femmes, mais a révélé aussi une autre dimension du personnage, impliqué également dans des affaires de pédophilie. Mais lorsque l'enquête a conclu à la culpabilité du secrétaire du mouvement, sur tous ces plans, Hassan Al-Bana a refusé de prendre des sanctions contre lui. Il s'est juste contenté de dire que son collaborateur avait été victime de ses pulsions et qu'il avait commis un péché véniel, qui n'est pas répréhensible dans l'idéologie des Frères musulmans. Voyant cela, les cadres de la confrérie qui demandaient la tête d'Abdelhakim Abidine ont préféré enterrer le dossier de crainte que sa révélation n'ait pour effet d'entacher la réputation de leur parti. Revenant sur les démêlés juridiques du commis voyageur des Frères musulmans, Hilmi Al-Nemnem s'arrête sur les termes utilisés par Tarik Ramadan pour sa défense. Il parle tantôt de préliminaires, mais sans coït, de relations consenties, utilisant pour ce faire des termes empruntés au langage courant utilisé en la matière en pays laïques.
«Puisque dans sa vie privée, Tarik Ramadan utilise des mots et des concepts laïques, pourquoi les récuse-t-il, lorsqu'il s'adresse à nous et nous interdit même de les utiliser, parce qu'ils sont étrangers ?», interroge le chroniqueur. Il préfère nous abreuver de locutions et de termes de théologie au sens totalement opposé, fidèles au bon vieux principe disposant que ce qui leur est permis ne l'est pas pour nous, et que faire comme eux nous expose à l'anathème. «Historiquement, la confrérie a su jouer habilement sur les mots et sur les concepts, ajoute Hilmi Al-Nemnem. Vous leur parlez de démocratie, ils vous parlent de ‘’Choura’’, qui n'a rien à voir, vous débattez avec eux de la nécessité d'un Etat civil, ils vous disent oui, mais avec des référents religieux. Vous dites Etat national, ils vous répondent ‘’Etat du califat’’. Et l'auteur de rappeler qu'avant le 25 janvier, le responsable Frères musulmans, Issam Al-Ariane, avait dit aux Américains : ‘’Ne vous fixez pas sur notre appellation, notre mouvement croit à la laïcité.’’ Et c'est ainsi qu'ils se sont acquis la sympathie de Washington qu'ils n'ont pas tardé à dilapider, une fois qu'ils sont arrivés au pouvoir.» Des rappels nécessaires et utiles, mais une information de taille: nous connaissions l'aïeul de Tarik Ramadan, nous savons, enfin, qui est son ancêtre en libido !
A. H.
Je cite ici librement et de mémoire le titre de l'un des textes les plus significatifs de Djamal Al-Bana (1920-2013), le frère cadet de Hassan Al-Bana, fondateur du mouvement des Frères musulmans. Sollicité par son aîné avec insistance pour rejoindre le mouvement et y «cueillir les fruits délicieux de ses jardins», Djamal Al-Bana a préféré désobéir à son frère et a opté pour un Islam des lumières. Contrairement au beau-fils de Hassan Al-Bana, Saïd Ramadan, héritier spirituel du chef des Frères musulmans et père de Tarik, chargé de mission du mouvement en Europe. Hilmi Al-Nemnem, un chroniqueur du quotidien cairote Al-Misri Alyoum, évoque l'étonnement suscité en France et dans d'autres pays européens par la mise en examen de Tarik Ramadan. Il souligne que les faits reprochés au militant islamiste ne suscitent aucun étonnement en Égypte, puisqu'ils s'inscrivent dans la tradition du mouvement, fondé et dirigé par son grand-père. Depuis sa création, dit-il, l'itinéraire de la confrérie est jonché d'incidents et d'exemples de ce genre, comme l'atteste l'histoire connue de son secrétaire, Abdelhakim Abidine. De nombreux militants s'étaient plaints à Hassan Al-Bana du harcèlement sexuel que subissaient leurs femmes et de leurs filles de la part de monsieur le secrétaire.
Non content de chasser sur ses propres terres et dans l'entourage des militants du mouvement, Abdelhakim Abidine ne se contentait pas de faire des propositions indécentes et il passait souvent à l'action. Une enquête interne au mouvement a non seulement confirmé les accusations concernant les femmes, mais a révélé aussi une autre dimension du personnage, impliqué également dans des affaires de pédophilie. Mais lorsque l'enquête a conclu à la culpabilité du secrétaire du mouvement, sur tous ces plans, Hassan Al-Bana a refusé de prendre des sanctions contre lui. Il s'est juste contenté de dire que son collaborateur avait été victime de ses pulsions et qu'il avait commis un péché véniel, qui n'est pas répréhensible dans l'idéologie des Frères musulmans. Voyant cela, les cadres de la confrérie qui demandaient la tête d'Abdelhakim Abidine ont préféré enterrer le dossier de crainte que sa révélation n'ait pour effet d'entacher la réputation de leur parti. Revenant sur les démêlés juridiques du commis voyageur des Frères musulmans, Hilmi Al-Nemnem s'arrête sur les termes utilisés par Tarik Ramadan pour sa défense. Il parle tantôt de préliminaires, mais sans coït, de relations consenties, utilisant pour ce faire des termes empruntés au langage courant utilisé en la matière en pays laïques.
«Puisque dans sa vie privée, Tarik Ramadan utilise des mots et des concepts laïques, pourquoi les récuse-t-il, lorsqu'il s'adresse à nous et nous interdit même de les utiliser, parce qu'ils sont étrangers ?», interroge le chroniqueur. Il préfère nous abreuver de locutions et de termes de théologie au sens totalement opposé, fidèles au bon vieux principe disposant que ce qui leur est permis ne l'est pas pour nous, et que faire comme eux nous expose à l'anathème. «Historiquement, la confrérie a su jouer habilement sur les mots et sur les concepts, ajoute Hilmi Al-Nemnem. Vous leur parlez de démocratie, ils vous parlent de ‘’Choura’’, qui n'a rien à voir, vous débattez avec eux de la nécessité d'un Etat civil, ils vous disent oui, mais avec des référents religieux. Vous dites Etat national, ils vous répondent ‘’Etat du califat’’. Et l'auteur de rappeler qu'avant le 25 janvier, le responsable Frères musulmans, Issam Al-Ariane, avait dit aux Américains : ‘’Ne vous fixez pas sur notre appellation, notre mouvement croit à la laïcité.’’ Et c'est ainsi qu'ils se sont acquis la sympathie de Washington qu'ils n'ont pas tardé à dilapider, une fois qu'ils sont arrivés au pouvoir.» Des rappels nécessaires et utiles, mais une information de taille: nous connaissions l'aïeul de Tarik Ramadan, nous savons, enfin, qui est son ancêtre en libido !
A. H.
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