lundi 7 mai 2018

Ne désespère pas, tu n'es pas seul ! Par Ahmed Halli

Kiosque arabe par Ahmed Halli

Loin des aboyeurs du prince, des coryphées de prétoires, il y a des hommes et des femmes de conviction qui font jaillir le plus souvent la première étincelle, qui osent dire et qui font ce qu'ils disent. Depuis quelques mois, Occident et Orient, pour une fois réunis, se congratulent à propos des réformes initiées par le prince héritier saoudien, et celles en faveur des femmes, notamment. On rappelle volontiers l'autorisation octroyée aux femmes de conduire une automobile, nanties d'un permis idoine dont les modalités de délivrance restent à connaître. Du coup, c'est un concert de louanges qui monte vers S.A.S-M.B.S (Son Altesse Sérénissime Mohamed Ben Salmane), et qui passe sous silence le combat des femmes saoudiennes pour l'émancipation. Qui se souvient de Nadine Lebdayer qui publia en 2009, dans le quotidien égyptien Al Masri-Alyoum, un brûlot au titre sans concessions «Mes quatre époux et moi» ? Un réquisitoire contre la polygamie en Arabie Saoudite, l'une des concessions majeures et des plus suivies concédées aux hommes par le Coran, en sus de l'inégalité en matière d'héritage. On connaît aussi en Europe et en Amérique du Nord, l'écrivaine Raja Alssanae, pour son roman Les Filles de Riyad, mais bien d'autres restent confinées aux frontières du royaume.



















Badria al-Bishr


Ce sont ces femmes et leur exemplarité qui nous rappellent, une fois de plus, que si la règle chez les peuples colonisés ou opprimés est de s'affranchir par le combat, il en est de même pour la femme. Pour certaines d'entre elles, comme Wadjiha Al-Howaidar ou Badria Al-Bachr, les colonnes des journaux arabes sont la seule source de notoriété qu'elles peuvent espérer, à condition d'y avoir accès. Oubliée, Salwa Al-Odhaidane qui démasqua et fit condamner le prédicateur chéri des islamistes algériens, Aïdh-Al-Qarni, pour avoir plagié son livre Comment le désespoir a été vaincu. En 2011, les tribunaux saoudiens avaient conclu à la culpabilité du plagiaire qui avait reproduit in extenso le texte de la plaignante en changeant juste le titre Ne désespère pas !, devenu best-seller. En 2012, un jeune écrivain saoudien a publié un pamphlet sur le même mode, intitulé Ne vole pas !, dans lequel il récapitulait tous les plagiats et autres emprunts du «cheikh». Imperturbable, le prédicateur a continué à publier, et il a poussé la hardiesse jusqu'à s'attribuer un recueil de poèmes appartenant à un poète égyptien qui a dénoncé l'imposture. Oubliée aussi la pionnière, Manal Sharif, qui publia, en 2011, en compagnie de son amie Wajiha Khoudir, une vidéo qui les montrait en train d'enfreindre l'interdiction et de conduire une automobile.






















Manal al Sharif


Aidh El-Qarni

Manal Sharif ne se contentait pas de revendiquer la liberté de conduire, mais menait aussi campagne contre l'imposition d'un tuteur aux femmes saoudiennes. Outre sa dénonciation des traitements réservés aux étrangers, travaillant dans le royaume, elle s'est également signalée, en 2013, par des publications demandant justice pour Lama Al-Ghamidi. Lama, cinq ans, la fille et la victime du prédicateur (ça ne s'invente pas) connu Feyhane Al-Ghamidi est morte dans un hôpital des suites de sévices corporels, dont un viol, de la part de son géniteur. Comme la maman de la fillette, dont il était divorcé, avait renoncé à le poursuivre contre le versement d'une certaine somme d'argent (conformément à la loi religieuse), ledit Feyhane a échappé au sabre du bourreau. Le tribunal, convoqué néanmoins sur plainte d'une association de défense locale, a rejeté l'accusation de viol, pourtant attestée par l'autopsie. Après un procès qui a duré près de deux ans, le prédicateur a été reconnu non coupable du meurtre de sa fille et a été libéré sous caution. La seule accusation finalement retenue contre l'infanticide a été celle d'avoir commis des excès dans l'éducation de sa fille. Une décision inique qui a révolté l'opinion saoudienne et internationale, et qui a alimenté une polémique durable autour du fonctionnement de la justice saoudienne.


 Feyhane Al-Ghamidi et sa fille de 5 ans Lama Al-Ghamidi

En 2016, Manal Sharif a récidivé en prenant la défense d'une jeune Saoudienne arrêtée pour avoir posté sur les réseaux sociaux une photo d'elle dans un lieu public sans le voile et sans l'habit dévolu aux femmes. La jeune fille, Malak Shahri, avait auparavant annoncé sur les mêmes sites son intention de se montrer sans hidjab dans un lieu public en compagnie d'un ami et fumant une cigarette. Manal Sharif avait alors écrit sur sa page twitter : «Pas de sanction sans un texte de loi correspondant. Pas de châtiment en Islam pour quelqu'un qui a retiré son voile. Et ne venez pas me raconter après ça que le voile est un choix et non une obligation.» Pour mieux affirmer son soutien à l'initiative de sa concitoyenne, Manal avait, elle aussi, publié une photo d'elle sans voile et avec cette légende: «Ma photo sur la plage Nedjma, au Cap Tanoura, là où il n'y a aucune institution pour déposer plainte contre les femmes non voilées. Merci à l'Arabie Saoudite qui nous a appris l'hypocrisie.» Outre Manal Sharif, il y a lieu de retenir le nom de l'activiste Ala Said Al-Chabr, comme nous y invite notre consœur, Sehr Aldjaara, du quotidien Al-Misri Alyoum. Cette dame de 34 ans anime actuellement sur les réseaux sociaux une campagne pour la suppression de l'obligation pour la femme d'avoir un tuteur.
En théorie, des instructions ont été données par la cour pour que les femmes n'aient pas à demander l'autorisation d'un tuteur pour obtenir un passeport, mais il en va autrement dans les faits. L'activiste qui revendique un texte de loi abolissant la tutelle s'inscrit en faux contre la justification religieuse de cette mesure, et elle reconnaît, en bonne musulmane, la primauté de l'homme sur la femme. Seulement, elle objecte qu'il n'est écrit nulle part dans le Coran que la femme doive être affligée d'un tuteur pour la gestion de ses affaires personnelles. Malgré les insultes et les menaces, Ala Said tient bon, en dépit des ricanements des hyènes de prétoires et des cris des camelots de la piété. Son message, qui n'a rien à voir avec celui du faussaire Al-Qarni, mais qui est celui de Manal Sharif et des femmes saoudiennes qui n'attendent plus de cadeaux : Ne désespère pas, tu n'es pas seul !
A. H.


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