mardi 2 octobre 2018

L'ETAT ISLAMIQUE EST UNE ARABIE SAOUDITE AMBULANTE ET SANS PÉTROLE



La question que l'Occident ne se pose pas : bombarder l'armée de l'Etat islamique servira-t-il à quelques choses ? Pour le moment, on est dans le casting de l'urgence : la puissance contre le mal. La force contre la menace. Daesh ( nom ténébreux sonnant comme un Léviathan ) tue, égorge, décapite, viole, incendie et avance et veut le reste de la terre au nom de son ciel à lui. La réaction est celle de la coalition : l'union sacrée du monde contre la fin du monde, en gros. Mais après ? Et avant ? L'EI ( État islamique, nom français de Daesh ) ne vient pas du ciel d'Allah, comme il le prétend, mais de la terre, de quelques part. On va le bombarder en Syrie, en Irak, mais il renaîtra. C'est une matrice, pas un Reich. Il sera décapité mais il n'a pas besoin de tête, justement. On devient Daesh comme on devient islamiste et on devient islamiste parce qu'on pense que c'est être plus musulman que le musulman. On ira bombarder cette armée de fin du monde, elle serra tuée, puis, une après-midi d'ennuis, de folie ou de colère, elle renaîtra ailleurs, dans un autre désert. La raison ? Daesh n'est pas en Irak,, mais dans les têtes. Dans la vaste planète d'Allah, il y a les écoles, les livres gratuits, les médias, les satellites salafistes dans le ciel, financés par le wahhabisme, financé lui-même par le pétrole, lui-même acheté par l'Occident, la Chine et les autres. La phrase est longue car c'est une chaîne alimentaire. À l'autre bout de vos interrupteurs, il y a l'épée. Un vieux topique de la facilité ? Non : c'est un vieil effet domino.
On oublie dans cette affaire de l'EI, que le wahhabisme vend son pétrole au monde et ses idées au monde musulman.Sauf que dans le second cas, c'est presque gratuit. Plus de mille chaînes TV religieuse inondent les maisons dans le monde " arabe ", pénètrent les foyers et touchent cette frange faible : les mères illettrées des villages lointains, les femmes, les adolescents, les enfants. Des millions de livres sont imprimés et soutenus par l'Arabie et ses petites sœurs dans le monde. Des prêcheurs sont payés et entretenus, des fatwa-corporations, des réseaux.
On oublie que, pour survivre, les régimes dans le monde d'Allah ont compris le bénéfice d'une alliance passive avec les islamistes pour féodaliser les peuples et convertir le citoyen en croyant et le croyant en serf.. On oublie que les idées de l'EI sont dans les écoles de la planète d'Allah, dans les rues, dans les habits, les comportements, les réactions et les visions du monde. Encouragées comme un succédané de l'identité, en réaction à l'Occident. Défendues comme des valeurs désormais " nationales " et locales. Acceptées et transmises. Transformées en raisons de vivre et de mourir et de tuer. " Daesh est en nous ", avait écrit un ami. Et c'est pourquoi il est et sera partout.
Du coup, bombarder n'est pas solutionner. C'est juste surseoir. L'État islamique reviendra car la matrice est là, riche, protégée, immunisée, exempte de comptes et de pressions : le wahhabisme et son pays natal, l'Arabie Saoudite, ses idées, ses cheikhs, ses théologiens, ses rentes de pèlerins et ses puits. On tuera l'EI, mais il renaîtra dès qu'il touchera terre, en cycle fermé.
L'EI est juste une Arabie Saoudite ambulante qui n'a pas de pétrole et qui n'est pas protégée par ses clients.

Kamel Daoud in " Mes indépendances " Éditions Barzakh 2017

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