dimanche 7 octobre 2018
Tara Farès, victime de Saddam ? Par Ahmed Halli
Tara Farès n'a jamais voulu se plier aux carcans imposés exclusivement aux femmes dans les pays arabes, que ce soit au nom de la coutume ancestrale, des traditions tribales, ou de la religion. Le plus souvent, les trois se mélangent au point de former un ménage heureux, dans lequel le religieux porte la culotte, quand il daigne tolérer des coutumes qui arrangent ses affaires. Elle a été tuée dans sa ville de Baghdad, la ville de Kadhem Essaher, un chanteur autorisé à chanter la beauté des femmes, alors qu'il est interdit aux femmes d'être belles, et de le montrer. Elle a d'abord été reine de beauté de Baghdad, puis couronnée Miss Irak, avant d'embrasser une carrière de mannequin, et de blogueuse qui s'affiche, comme une provocation aux tartuffes. Ils sont légion en Irak, et sous d'autres cieux agressée par les vociférations des «cheikhs», et autres «héritiers des prophètes» autoproclamés qui lancent des anathèmes, sachant qu'ils seront entendus. Tara Farès était trop belle pour l'Irak d'aujourd'hui, pour l'Irak, et les pays arabes, comme il s'en façonne pour demain, sous le regard étonné d'une partie de l'humanité, encore lucide. On ne connaîtra peut-être jamais l'identité des assassins de Tara, mais on sait au moins qui a armé leur bras, qui leur a désigné la cible, après avoir prononcé la sentence, au nom de Dieu. Ils n'osent pas exécuter euxmêmes leur sale besogne, mais ils ont des centaines de milliers, voire des dizaines de millions qui les écoutent, et qui sont prêts à tuer, parce qu'ils sont l'islam. Avant de recevoir les balles mortelles, deux dans la tête, et une dans la poitrine, Tara s'était déjà faite notifier la sentence de mort, provenant des minarets, voués à la cause de «daesh». Il s'agissait de punir et de prévenir la récidive, ou la tentation de suivre l'exemple, en faisant tuer Tara Farès, qui ne se contentait pas d'apparaître, mais défiait ouvertement la bonne société. Elle illuminait de sa grâce les réseaux sociaux où elle diffusait des photos, et des vidéos d'elle, dans les tenues les plus aptes à susciter l'ire et la haine des épieurs, et des censeurs. Il lui arrivait aussi de se confier sur sa vie de femme, mariée de force, et à peine adolescente à un homme dont elle subissait quotidiennement les sévices corporels et moraux. D'aucuns pourraient dire qu'elle en faisait trop avec ses tenues excentriques, ses propos sur son blog, ses promenades dans les rues de Baghdad au volant d'une voiture de course, et en compagnie d'un homme. Et c'est précisément dans ces conditions qu'elle a péri la semaine dernière, alors qu'elle était au volant de sa voiture blanche, équipée de sièges rouges, comme pour mieux attirer l'attention. Dans un pays normal, de tels comportements prêteraient à sourire, mais pas en Irak, et surtout pas venant d'une femme, jolie et parfaitement libérée de surcroît, ce qui est intolérable, voire impensable. Ces attitudes-là sont permises uniquement aux enfants gâtés des familles au pouvoir, aux émirs du sérail, et de préférence dans les rues des villes européennes, loin des regards de la populace. Chez ces gens-là, une femme comme il faut ne porte des strings, ou des jupes courtes échancrées, que dans le cloître bien gardé des fêtes familiales, le temps de se croire libérée des entraves. Tara a sans doute eu le tort de se croire à la fête, et qu'elle avait fait de sa vie une fête par sa seule volonté, mais le non-conformisme, et l'excentricité, ne sont pas de mise en sociétés islamistes. Chassé théoriquement, et selon toute vraisemblance, de Mossoul, «daesh» semble avoir installé ses meubles, et son arsenal de mort, à Baghdad, d'où il n'est jamais réellement parti, d'ailleurs. On peut supposer qu'il a réinstallé son dispositif opérationnel consistant à subjuguer les musulmans mâles, et à imposer l'obéissance à la population féminine de même confession, ou non. Les miliciens du califat autoproclamé n'ont pas eu beaucoup d'efforts à faire, pour convaincre, ou asservir, les populations locales étant depuis longtemps préparées à ces exercices. À vrai dire, Baghdad, à l'instar des autres capitales arabes, Beyrouth y compris, a depuis longtemps cédé aux charmes vénéneux, et néanmoins prometteurs, du wahhabisme. Désormais, et dès qu'on a atteint l'âge dit de raison, on ne se préoccupe plus que de réfléchir sur sa mort prochaine, et ses conséquences à terme, le châtiment, ou la félicité. Dans ce sens, la vraie victoire de la coalition anti-irakienne, sous l'égide américanosaoudienne, n'a pas été de contrarier durablement la construction d'un pays moderne, mais d'islamiser son drapeau. L'ajout d'une proclamation à la gloire d'un dieu, forcément enclin à prendre parti pour les meilleurs de ses enfants, les Arabes autrement dit, n'a, du reste, jamais surpris personne. Cela s'est fait comme si le nouvel emblème national irakien, frappé du slogan belliciste «Allah Akbar», avait été plébiscité par tout le peuple, et par référendum. Le choix tactique de Saddam, mais non payant de son point de vue personnel, est surtout celui de tout musulman laïque, et tyrannique, rêvant d'un califat susceptible de raffermir son pouvoir. Les pires fanatiques religieux sont souvent d'anciens mécréants, ou laïques, repentis, qui pensent avoir un lourd déficit en matière d'actes de piété, et qui font le forcing pour y remédier.
A. H.
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