Par Sonja Hegasy, présidente du Zentrum Moderner Orient (ZMO) depuis 2008. Après des études de sciences islamiques et de sciences politiques au Caire, en Europe et à New York, elle obtient un doctorat à l'université FU de Berlin, sujet de thèse : "Etat public et société civile au Maroc". Ses thématiques de recherches sont la société civile, le dialogue interculturel, mémoire/histoire et la mondialisation.
« La raison est une lumière qui est sans aucun doute nécessaire pour éclairer l'obscurité mais elle peut aussi être utile en plein jour » - Mohammed Abed al-Jabri (27 décembre 1935 – 3 mai 2010).
Mohammed Abed al-Jabri, né à Figuig au Maroc le 27 décembre 1935 et mort le 3 mai 2010, a sans conteste été l'un des plus éminents théoriciens sociaux du monde arabe. En 1970, sa thèse sur Ibn Khaldun, précurseur de la sociologie moderne du XIVème siècle, originaire d'Afrique du Nord, lui a valu son premier doctorat décerné par l'Université Mohammed-V à Rabat née après l'indépendance du Maroc. Ce fut le premier ouvrage d'une oeuvre qui allait en compter plus d'une trentaine.
Al-Jabri était à la fois un philosophe critique et un partisan d'une politique sociale de gauche. Il a toujours été impliqué dans l'éducation, tout d'abord comme instituteur puis comme inspecteur de l'éducation, auteur de manuels scolaires, professeur d'université et enfin mentor.
S'inspirant de l'histoire des mouvements musulmans non orthodoxes, al-Jabri a repris la démarche du philosophe allemand du XVIII ème siècle, Emmanuel Kant, dans le sens où il a demandé à ses lecteurs d'affirmer leur droit à définir le monde sur la base de leurs propres observations et non sur celles d'autorités prédéfinies, traditionnelles ou surannées.
Il était, au sens noble du terme, un « intellectuel public ». En 1990, il a publié un Dialogue de l'Orient et de l'Occident nord-africain, sorte d'argument et contre argument avec le philosophe égyptien et professeur à l'université du Caire, Hassan Hanafi. Son principal ouvrage, Critique de la raison arabe, est paru en quatre volumes, à Beyrouth et à Casablanca entre 1984 et 2001 et a suscité de vives controverses. L'ouvrage tentait d'aborder le problème qui consiste à déterminer « comment lire et relire les écrits arabo-islamiques sans les sacraliser ».
Selon al-Jabri, deux éléments principaux dans l'histoire des idées politiques continuent d'avoir une influence dans le monde arabe et sont responsables de l'incessante stagnation de celui-ci: (1) l'imitation plutôt que la pensée critique est devenue la forme principale de conscience et, (2) pris individuellement, les dirigeants ne sont pas souvent tyranniques : ils sont conseillés par ceux qui les entourent lesquels sont responsables du succès ou de l'échec.
Pour neutraliser ces influences, al-Jabri voulait renforcer la tradition rationnelle, intellectuelle dans la pensée musulmane et, pour ce faire, il s'est inspiré des écrits d'Aristote, philosophe grec du IVème siècle av. J-C, et d'Ibn Rushd, philosophe et théologien musulman du XIIème siècle.
A l'instar de beaucoup d'intellectuels contemporains du monde arabe, al-Jabri était peu connu en Allemagne jusqu'à ce que Reginald Grünenberg, éditeur et philosophe, découvre son oeuvre en 1995. Reginald Grünenberg envisage de faire publier en allemand, par sa maison d'édition Perlen Verlag, l'ensemble des oeuvres majeures de M. al-Jabri.
Les attaques de M. al-Jabri contre l'autorité conventionnelle sont, sur le plan social, aussi explosives que les travaux du penseur et militant pour les droits de l'homme d'origine égyptienne Farag Foda, qui a été tué par deux membres appartenant à un groupe de fondamentalistes islamiques en 1992 ; ou que ceux de l'érudit soudanais Mahmoud Muhammad Taha qui a été pendu en 1985 pour s'être opposé à l'imposition de la loi islamique en septembre 1983, car elle séparait les musulmans des nombreux non musulmans soudanais et était ainsi contraire à l'unité nationale.
Al-Jabri était à la fois un philosophe critique et un partisan d'une politique sociale de gauche. Il a toujours été impliqué dans l'éducation, tout d'abord comme instituteur puis comme inspecteur de l'éducation, auteur de manuels scolaires, professeur d'université et enfin mentor.
S'inspirant de l'histoire des mouvements musulmans non orthodoxes, al-Jabri a repris la démarche du philosophe allemand du XVIII ème siècle, Emmanuel Kant, dans le sens où il a demandé à ses lecteurs d'affirmer leur droit à définir le monde sur la base de leurs propres observations et non sur celles d'autorités prédéfinies, traditionnelles ou surannées.
Il était, au sens noble du terme, un « intellectuel public ». En 1990, il a publié un Dialogue de l'Orient et de l'Occident nord-africain, sorte d'argument et contre argument avec le philosophe égyptien et professeur à l'université du Caire, Hassan Hanafi. Son principal ouvrage, Critique de la raison arabe, est paru en quatre volumes, à Beyrouth et à Casablanca entre 1984 et 2001 et a suscité de vives controverses. L'ouvrage tentait d'aborder le problème qui consiste à déterminer « comment lire et relire les écrits arabo-islamiques sans les sacraliser ».
Selon al-Jabri, deux éléments principaux dans l'histoire des idées politiques continuent d'avoir une influence dans le monde arabe et sont responsables de l'incessante stagnation de celui-ci: (1) l'imitation plutôt que la pensée critique est devenue la forme principale de conscience et, (2) pris individuellement, les dirigeants ne sont pas souvent tyranniques : ils sont conseillés par ceux qui les entourent lesquels sont responsables du succès ou de l'échec.
Pour neutraliser ces influences, al-Jabri voulait renforcer la tradition rationnelle, intellectuelle dans la pensée musulmane et, pour ce faire, il s'est inspiré des écrits d'Aristote, philosophe grec du IVème siècle av. J-C, et d'Ibn Rushd, philosophe et théologien musulman du XIIème siècle.
A l'instar de beaucoup d'intellectuels contemporains du monde arabe, al-Jabri était peu connu en Allemagne jusqu'à ce que Reginald Grünenberg, éditeur et philosophe, découvre son oeuvre en 1995. Reginald Grünenberg envisage de faire publier en allemand, par sa maison d'édition Perlen Verlag, l'ensemble des oeuvres majeures de M. al-Jabri.
Les attaques de M. al-Jabri contre l'autorité conventionnelle sont, sur le plan social, aussi explosives que les travaux du penseur et militant pour les droits de l'homme d'origine égyptienne Farag Foda, qui a été tué par deux membres appartenant à un groupe de fondamentalistes islamiques en 1992 ; ou que ceux de l'érudit soudanais Mahmoud Muhammad Taha qui a été pendu en 1985 pour s'être opposé à l'imposition de la loi islamique en septembre 1983, car elle séparait les musulmans des nombreux non musulmans soudanais et était ainsi contraire à l'unité nationale.
Déclarés infidèles par les autorités religieuses de leurs pays respectifs, M. Taha et M. Foda n'ont pu bénéficier de la protection de la loi. Le fait que al-Jabri n'ait jamais eu à faire face à de telles menaces révèle un plus grand libéralisme de la part du Maroc. Le roi du Maroc lui a même offert les honneurs nationaux, mais il a toujours refusé de les accepter.
Dans une lettre publiée en 2005, Reginald Grünenberg lui a demandé si ces vues provocatrices ne l'avaient jamais conduit à subir des actes de répression ou de violence, ce à quoi al-Jabri a répondu: « Je n'ai encore jamais fait l'objet d'une quelconque agression à cause de ma position politique ou à cause de certaines de mes idées qui expriment un point de vue idéologique ou culturel... Lorsque je critique un courant intellectuel ou que je souhaite m'en distancier, je le fais exclusivement en tant que penseur désireux d'indiquer clairement sa position et non en tant qu'opposant ou ennemi.»
« Pour des millions de jeunes, al-Jabri a fait accepter la modernité, leur désir de démocratie et leur héritage culturel », déclare la célèbre féministe marocaine Fatima Mernissi. Les jeunes ont lu avec avidité son oeuvre et ont découvert une histoire musulmane dans laquelle la raison et la formation d'opinions individuelles constituent un élément fondamental.
Al-Jabri appartenait à une génération de personnes instruites, une génération dont les jeunes gens ont connu la lutte pour l'indépendance en Afrique du Nord. Après quoi, ils ont influencé la formation de leur société dans tous les domaines. Sa devise était : « Ayez le courage de vous servir de votre propre intelligence ! »
Une introduction à son oeuvre a été publiée en allemand par Perlen Verlag en 2009 et j'ai pu lui en apporter un exemplaire en mai de la même année.
Sans doute aurait-il aussi adoré voir la traduction en allemand de Critique de la raison arabe. Une traduction en anglais est en cours. En fin de compte, même si l’un des plus grands intellectuels arabes est peu connu en Occident, il est possible que beaucoup discutent de l'importance du dialogue avec le monde musulman.
Dans une lettre publiée en 2005, Reginald Grünenberg lui a demandé si ces vues provocatrices ne l'avaient jamais conduit à subir des actes de répression ou de violence, ce à quoi al-Jabri a répondu: « Je n'ai encore jamais fait l'objet d'une quelconque agression à cause de ma position politique ou à cause de certaines de mes idées qui expriment un point de vue idéologique ou culturel... Lorsque je critique un courant intellectuel ou que je souhaite m'en distancier, je le fais exclusivement en tant que penseur désireux d'indiquer clairement sa position et non en tant qu'opposant ou ennemi.»
« Pour des millions de jeunes, al-Jabri a fait accepter la modernité, leur désir de démocratie et leur héritage culturel », déclare la célèbre féministe marocaine Fatima Mernissi. Les jeunes ont lu avec avidité son oeuvre et ont découvert une histoire musulmane dans laquelle la raison et la formation d'opinions individuelles constituent un élément fondamental.
Al-Jabri appartenait à une génération de personnes instruites, une génération dont les jeunes gens ont connu la lutte pour l'indépendance en Afrique du Nord. Après quoi, ils ont influencé la formation de leur société dans tous les domaines. Sa devise était : « Ayez le courage de vous servir de votre propre intelligence ! »
Une introduction à son oeuvre a été publiée en allemand par Perlen Verlag en 2009 et j'ai pu lui en apporter un exemplaire en mai de la même année.
Sans doute aurait-il aussi adoré voir la traduction en allemand de Critique de la raison arabe. Une traduction en anglais est en cours. En fin de compte, même si l’un des plus grands intellectuels arabes est peu connu en Occident, il est possible que beaucoup discutent de l'importance du dialogue avec le monde musulman.
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